Il pleuvait des cordes, impossible de voir à plus de deux mètres. De quoi provoquer des accidents si on conduisait une voiture ou si on était un piéton imprudent. Tara risquait gros à cet instant. Simplement vêtue d'un gros sweat et d'un jean détrempé, elle manquait de tomber malade, mais aussi de se faire renverser. Elle avait rejeté sa capuche, ses cheveux tombant devant ses yeux. Ses yeux si tristes et emplis de larmes qui se mêlaient aux gouttes de pluie. Ses mains étaient fourrées dans les poches de son pull et voilà qu'elle s'amusait à marcher en plein milieu de la route.

Ce dimanche avait été horrible pour elle, son appartement n’avait jamais eu la chance d’être silencieux comme elle l’aimait. D’habitude, il n'y avait plus personne pour lui donner des ordres ou la déranger dans ses pensées. Mais sa mère semblait s’être souvenue qu’elle pouvait l’embêter chez elle. Elle le regrettait tellement. Ses démons avaient profité de ce véritable foutoir  pour polluer son esprit, lui offrant une vision obscure et pessimiste du monde dans lequel elle vivait. La brune avait tout essayé pour se changer les idées, mais rien n'y faisait. Ses peurs étaient revenues à l'assaut, ne lui laissant aucune chance de répit. La petite voix s'était accrochée à elle, recommençant ses murmures incessants.

Elle n'avait personne à qui parler, personne à qui crier à l’aide. Son téléphone avait rendu l’âmee après avoir rencontré le mur. Madison. Elle lui en voulait énormément, jamais elle n'aurait pensé être piégée de la sorte pour sa meilleure amie, ni même par sa mère. Fiona. Celle qui ne l’avait jamais aimé, qu’elle avait haï si profondément. Comment avait-elle pu la forcer à faire des telles choses? Comment avait-elle pu se permettre de lui donner un coup de poignard dans le dos?

Et pourtant, elle avait ce besoin de ne plus se sentir seule, de trouver une personne pour chasser ses cauchemars et ses angoisses. Hélas, ils n'étaient que deux à compter pour elle, Seònaid, elle voulait la laisser en dehors de tout ça. La seule qui pouvait vraiment l’aider en cet instant, elle se dirigeait vers son appartement.

Ses pas se firent plus lents et le pantin, qu'elle était devenue, dériva vers le trottoir de gauche. Son regard chocolat ne faisait pas attention au décor qui l'entourait et son corps ne bronchait pas face à cette pluie qui lui perçait les os. Elle sera malade, tant pis, elle assumerait plus tard. Chassant quelques mèches de son visage trempé, elle approcha son doigt glacé du bouton de la sonnette. Tout ça dans un automatisme effrayant.

Ses mains revinrent se cacher dans les poches de son sweat alors qu'elle attendait une réponse, elle n'en avait que faire de rester dehors, elle avait tout son temps.

Son regard vide se posa sur la silhouette familière de son amie. Elle ne réagit pas lorsque ses doigts se refermèrent autour de son bras pour l’emmener à l’intérieur. Son corps continuait de frissonner malgré la chaleur du lieu, la maladie la guettait de près, mais son esprit était toujours aussi tremblant et froid en cette soirée de pluie. Tara ne ressemblait plus à cette jeune femme élégante qu’elle aimait être. On aurait dit une enfant perdue qui avait fui sa famille pour retrouver sa liberté. Mais la brunette n’avait aucune chance de trouver un endroit paisible pour ses pensées, elle était fichue.

Son attention se porta enfin sur Bethany, ses mains contre ses tempes lui procuraient des vagues de chaleur qui étaient bienvenues. Le froid perdait du terrain dans son corps, mais il ne se laissait pas faire pour autant. A lui s’alliait les sombres pensées qui attaquaient à coups de hache contre ses dernières précieuses barrières. Ses doigts s’accrochèrent au haut de son amie, comme un rocher, ne voulant pas se faire emporter par le torrent.

Elle était là. Mais alors pourquoi s’éloignait-elle ? A peine avait-elle esquissé un pas en arrière que le froid était revenu à la charge, plus fort que jamais. Tara ne bougeait pas d’un pouce et tritura ses doigts en regardant autour d’elle. Elle vit une forme poilue dans un coin et reconnut le chien de Bethany. Elle ne fit pas la bêtise de le rejoindre, elle n’était pas présentable et elle puait le désespoir, il la fuirait forcément.

Des vêtements furent déposés dans ses mains. Ils étaient si chauds contre sa peau glaciale. Elle ne fit pas attention à la voix de la sorcière. Son corps agit par instinct, faisant taire les mauvaises idées de son esprit. Son sweat fut jeté dans un coin tout comme son bas. Elle se réfugia dans les nouvelles fringues et se tourna doucement vers le canapé.

Bethany se tenait là, l’air inquiet. Tara souhaitait s’excuser, mais sa bouche refusait de s’ouvrir et ses mots se bloquaient dans sa gorge, se bousculant par millier. Dans un soupir furieux, elle vint s’asseoir à côté d’elle. Ses doigts taquinèrent les ongles déjà rongés. Son genou tressautait contre le sol et ses cheveux étaient un véritable champ de bataille. La brunette faisait peur à voir.

Expliquer. Encore fallait-il qu’elle réussisse à parler. Ses lèvres s’entrouvrirent et un son en sortit, une tentative de s’exprimer. Sa voix était cassée, elle avait beuglé contre sa mère, ses cordes vocales avaient pris congé. « Alexis. Elle a dit qu’Alexis était une… une garce qui s’était servie de moi pour s’enrichir. » Elle ramena ses genoux contre sa poitrine, ses bras les enroulant. Son menton trouva refuge contre ses avant-bras. « Elle ne la connaissait pas… Personne ne connaissait aussi bien Alexis que moi… »

Elle avait froid, mais elle refusait de bouger, elle n’en avait plus la force, plus l’envie. Ses yeux se fermèrent doucement et le visage d’Alexis vint danser contre ses paupières. Si seulement, si seulement…

La journée avait été rude, Tara avait bien cru que son patron allait la tuer sous la tonne de dossiers qu’il lui avait confié. Ses collègues avaient été assez énervants et les lettres de sa mère avaient fini par être brûlées dans sa poubelle. Il lui avait été si difficile de se concentrer, on lui avait annoncé la mort d’un des Aurors avec qui elle s’entendait le mieux. La boule au ventre, elle avait regagné son appartement. Lorsqu’elle fut rentrée, elle trouva Alexis en train de peindre dans un coin de la pièce.

Son simple sourire chassa toutes ses peines et ses peurs. Sa voix chassa les murmures inquiets qui avaient pris place dans son esprit. En quelques pas seulement, elle se réfugia dans ses bras. Son étreinte était si chaleureuse, son parfum enivrant. Les mots doux et rassurants faisaient disparaître cette lourde journée de travail. Ses lèvres s’emparèrent des siennes pour un baiser amoureux avant qu’elles ne plongent leurs regards l’un dans l’autre. « Je t’aime Tara. »

Ses yeux s’ouvrirent pour tomber sur le chien. Ses doigts fins et glacés vinrent s’emmêlés dans son poil. Son cœur était toujours douloureux dans sa poitrine et sa gorge se nouait face aux larmes qui demandaient qu’à couler. Elle ne devait pas céder.

« Je t’aime Alexis. »

Une larme tout singulière traça sa route sur sa joue avant qu’elle ne la chasse dans un geste rapide. Bethany n’était déjà plus là, elle avait oublié le temps et les paroles, elle n’avait aucune idée de ce qui c’était dit ou fait. Ses mains chassèrent l’animal et Tara se leva. Ses pas se firent lents dans la salle tandis que sa main resserrait sa prise sur sa baguette.

« Jamais je ne te quitterai. »

Son regard n’était plus brisé, il était froid, dur comme la glace. Le bois de sa baguette grinça sous l’intensité de sa poigne. Les paroles de sa mère et de son ancienne compagne formaient un brouillon dans son crâne. Les voix hurlaient de tous les côtés, les murmures se faisaient perfides. Elle n’en pouvait plus.

« Alexis s’est toujours servie de toi ! Elle ne t’a jamais aimé ! Elle n’aimait que ton argent ! »

Elle se prit la tête dans les mains et ravala un sanglot.

« Tu es la femme de ma vie. »

Tout explosait. Le poids qui pesait depuis trop longtemps sur ses épaules s’effondra d’un seul coup. Tara avait perdu le contrôle. « FERME-LA ! » Sa baguette lâcha un éclair rouge vif et une table fut brusquement projetée contre le mur. Tara fixa la scène, la bouche entrouverte, confuse.

Sa main la faisait atrocement souffrir, le sort avait réveillé le moindre de ses nerfs, agitant de vieilles blessures endormies. Son regard furieux se posa sur la latina et elle se retint d'attraper sa baguette pour lui balancer un maléfice à la figure. Comment pouvait-elle oser lui faire ça? Comment osait-elle utiliser sa magie contre elle? Elle lui avait déjà brisé le cœur une fois, voulait-elle renouveler l'opération? Tara ne se laisserait pas faire cette fois-ci.

Elle se dégagea, d'un mouvement sec, ses poignets et frotta sa peau. Son regard n'avait plus rien de tendre envers elle, toute compassion, tout amour encore existant avait fini par s'envoler. Bethany, Bethany était coupable de son malheur. La journaliste l'avait abandonné alors qu'elle avait tellement besoin d'elle, la laissant seule face à la jubilation, cruauté de sa mère. Jamais Tara ne serait en mesure de la pardonner complètement, elle n'en aurait jamais la force. "Arrête de me gueuler dessus bordel!"

Tara n'avait qu'une envie: Quitter cet endroit. Pourquoi était-elle venue sérieusement? Elle avait pensé faire le bon choix, mais cela c'était révélé faux, complètement faux. La brunette se sentait oppressée, elle étouffait dans cet appartement. Ce n'était plus comme avant, ça ne serait jamais comme avant. Leur amitié ne tenait plus qu'à un fil à présent, mais elle ne voulait pas être celle qui tenait la paire de ciseaux. Elle préférait partir et laissait le temps faire son travail.

Sans réagir, elle la laissa se blottir contre elle, son souffle chaud contre son cou. Les souvenirs revenaient à foison alors qu'elle cherchait à les faire fuir. Ils n'avaient pas le droit de la torturer comme ça, elle refusait toute nouvelle souffrance. Il fallait oublier. Les derniers mots de Bethany jetèrent un froid dans l'appartement et dans le cœur de l'employée du Ministère. Elle se détacha un peu trop brusquement de cette étreinte et la regarda, le regard douloureux "T'as pas le droit! T'as pas le droit de me dire ça Davis! Tu m'as brisé le cœur, tu m'as plaqué sans aucune raison!"

La gifle partit toute seule alors que les larmes inondaient ses joues. "T'as pas le droit... J'aime Alexis et je l'aimerai toute ma vie. Tu es le passé Bethany, tu es le regret. T'avais pas le droit de me briser comme ça..." Ses pas se firent lents, mais elle reculait vers la porte. Ses doigts tâtonnèrent la porte avant de trouver la poignée.

Un dernier regard, une dernière larme, une dernière douleur et Tara s'en alla sous cette pluie battante.

HRP: