La clope au bec, Liana était assise sur l’appui fenêtre qui donnait sur la rue. Gancio avait posé sa tête sur ses genoux, réclamant des caresses qu’elle lui accorda sans broncher. Aujourd’hui, l’italienne avait fait l’effort de quitter ses vêtements sales pour se montrer présentable. Dans un jean qui lui allait à ravir et dans un top crop – qui laissait apparaître son ventre plat- assorti d’une chemise à carreaux, elle dégageait cette beauté ordinaire que peu de gens reconnaissaient. Elle avait aussi fait l’effort de changer de chaussures, abandonnant ses vieilles bottines trouées pour des baskets en toile neuves. Elle passa une main dans ses cheveux toujours aussi indomptable et cracha un nouveau nuage de fumée avant de se lever, balançant le mégot sans état d’âme.

Ses doigts se saisirent d’une sucette qu’elle glissa entre ses lèvres alors qu’elle se parfumait pour tuer l’odeur de tabac que Bethany détestait. Liana devait avouer qu’elle était stressée. Elle n’avait pas vu la brunette depuis son solo dans le bar, et leurs lettres avaient été violentes. L’Italienne n’en pouvait plus de cette situation, elle voulait tout tirer au clair, allant même jusqu’à avoir le courage de lui dévoiler ses sentiments les plus profonds. C’était une véritable torture que de la croiser sans pouvoir la prendre dans ses bras.

Elle avait rêvé d’elle, mainte et mainte fois, pour se réveiller dans ce lit froid, son chien dans ses bras. Finn la trouvait ridicule et lui ordonnait de se jeter à l’eau, mais pouvait-il comprendre la peur du refus et ce risque d’une amitié complètement gâchée ? Non, bien sûr que non. Elle soupira et croqua la sucrerie, attrapant son téléphone pour jouer avec ses contacts. La nuit passée avec l’écossaise ne l’avait pas énormément soulagée, au contraire, elle se sentait presque coupable.

Liana se mit à faire les cent pas dans son appartement, son chien l’observait sans comprendre le sens de tout ceci. Lui qui pensait qu’ils allaient passer leur après-midi à jouer dans le parc et à manger des cochonneries en jugeant les couples qui passaient par là, le pauvre chien avait eu faux sur toute la ligne. Ses oreilles se redressèrent quand il entendit des bruits de pas dans le couloir, il bondit sur ses pattes et courut vers la porte, de quoi faire paniquer sa maîtresse qui le saisit par son collier. « Panier Gancio ! »

Il obéit à contre cœur alors que Liana prenait une grande inspiration. On toqua à la porte et ses doigts se refermèrent sur la poignée. Elle fit un compte à rebours dans sa tête et s’assortit de son plus beau sourire. « Bethany ! Tu es là ! » L’italienne la prit dans une accolade maladroite avant de la laisser entrer dans la pièce. « J’ai failli attendre. »

 Gancio redressa ses oreilles et lâcha un aboiement joyeux en sentant la familière odeur de Scott. Il s’agita sur le lit de Liana, sachant très bien qu’il n’avait pas le droit de bouger tant qu’elle ne retirait pas l’interdiction. Il poussa une longue plainte avant de remuer la queue en voyant l’autre animal grimper les marches pour le rejoindre. Il était heureux.

Liana rendit son étreinte à la belle latina, inspirant profondément son parfum avant de la laisser filer. Un rire léger s’échappa d’entre ses lèvres, son regard parcourait déjà la silhouette parfaite de son amie, son cœur s’affolait dans sa poitrine au fil des minutes. « Oui. C’est bien celui-là, ton nez est toujours aussi fin. » Elle voulut s’emparer de sa main, mais la laissa libérer la bête sans broncher. Ce fut ainsi qu’elle se rendit compte que Bethany portait des talons.

Ses traits se peignirent d’étonnement en l’entendant s’excuser, ses doigts vinrent rejoindre les siens alors que ses pas l’approchèrent au maximum. Un rire lui échappa quand elle posa son front sur le haut de sa poitrine. « Tu n’aurais pas dû mettre de talons… J’ai vu sur tes seins et c’est assez… Distrayant. » En effet, sa gorge s’était brusquement asséchée et elle dut reculer légèrement pour ne pas perdre ses esprits. Une main lâcha l’autre pour qu’elle puisse l’emmener dans le salon. Elle l’invita à s’asseoir sur le canapé usé. « Moi aussi je suis heureuse de te savoir dans mon appartement. » sourit-elle en fouillant dans le frigo à la recherche de quelque chose à boire.

Il restait un fond de thé glacé et elle put, heureusement, remplir deux verres. « Je ne pensais pas que tu viendrais. J’avais peur de ne jamais te revoir tu sais ? » Elle revint vers elle, lui tendant la boisson en souriant. « Mais tu es là et je ne vais vraiment pas m’en plaindre. » Liana allait s’asseoir quand elle entendit des aboiements à l’étage. Fronçant les sourcils, elle siffla pour calmer les bêtes. « Décidément, ils sont bruyants à deux. »

 Refuser de l’alcool ? Jamais, mais Liana n’avait pas souhaité lui imposer une boisson alcoolisée sans son avis, et puis, elle avait eu du mal à décuver la veille. Son organisme avait besoin de faire une pause. Son regard ne la quittait plus désormais, s’amusant à apprendre par cœur les moindres détails de son visage, résistant à cette envie de l’embrasser avec toute la fougue qu’elle possédait. Liana n’avait jamais autant désiré une femme. Elle s’était abîmée dans trop de relations pour espérer être aimée un jour, les coups d’un soir n’était pourtant pas suffisants pour étancher sa soif d’affection. Elle avait besoin de plus.  

« Si nous étions des chiens ? Sérieusement ? » Elle but une gorgée de son verre avant de le déposer sur la table basse, elle n’avait pas envie de s’asseoir, elle savait qu’elle craquerait si elle avait le malheur de poser son postérieur à côté du sien, et pourtant… Liana se mordit la lèvre. « Attends. » Ses pas la guidèrent dans la cuisine et ses mains s’emparèrent d’un saladier rempli de toutes les cochonneries qu’elle avait acheté dans une confiserie du coin. « J’ai pensé à toi. »

Et là, elle s’installa à ses côtés. L’italienne se saisit d’un bonbon qu’elle enfourna dans sa bouche, se laissant du temps pour réfléchir à la question. Rien ne va plus Bethany, je t’aime à en crever. Je t’aime, mais tu ne vois rien. Je rêve de toi tous les soirs, je rêve de te posséder, de te chérir. Je rêve de tes lèvres contre les miennes, de tes mains dans mon dos, de ta voix murmurant mon nom. Un sourire parvint à illuminer son visage alors que sa main venait s’emparer de l’une des siennes pour lier ses doigts aux siens.

« Fatiguée, le boulot me fatigue en ce moment. Mais je vais bien, beaucoup mieux depuis que tu es là. » Mais tu n’es pas à moi, tu ne seras jamais à moi. « Et toi ? Tout baigne ? » Chéris moi, aimes moi, rassures moi, fais-moi tienne. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine et ses dents mordillaient nerveusement sa lèvre. Les chiens continuaient d’aboyer en haut, de quoi accentuer son trouble.

 Pourquoi insistait-elle ainsi sur la fatigue ? Bethany se doutait-elle de ses sentiments à son égard ? Non elle était bien trop aveugle pour s’en rendre compte, et l’image de la prestigieuse Tara devait toujours planer dans son esprit brisé. Alors Liana se força à croire qu’elle s’inquiétait justement extrêmement de son état. Son regard se baissa sur les mains de son amie et un sourire étira ses lèvres en la voyant batailler pour tenter de récupérer cette délicieuse grenouille. Elle aurait bien aimé l’aider, mais connaissant la brunette… Mieux valait la laisser se débrouiller.

Son cœur fut touché par ses paroles et elle dut planter ses ongles dans sa paume pour s’empêcher de laisser les larmes couler de la sorte, elle refusait de se montrer faible face à elle, c’était hors de question de fléchir devant elle, elle s’y refusait catégoriquement. Sa bouche s’ouvrit par la remercier, mais elle n’eut pas le temps de prononcer un mot. Son esprit perdit le fil de l’action et Liana se retrouva sur le canapé, le corps brûlant de son amie contre le sien.

Son souffle se bloqua dans sa gorge et ses mains restèrent éloignées de ses hanches qu’elle rêvait pourtant de toucher. Son rythme cardiaque avait accéléré, à un point qu’elle se demandait s’il n’allait pas finir par exploser. Jamais elle ne s’était imaginée pareille situation, son esprit lui criait de profiter de cette position pour lui voler un baiser, mais sa raison lui ordonnait de rester sage. Profiter de ce genre de moment, ce n’était pas galant. Mais Liana en avait ras le bol d’être patiente et gentille, elle voulait redevenir cette fille sans cœur qui ramenait ses conquêtes la nuit pour les chasser le lendemain.

Mais Bethany. Elle ne pouvait pas lui faire subir pareille torture, elle la voulait pour elle, tous les jours, tous les matins. Son regard émeraude s’abaissa vers ses lèvres pulpeuses qui ne demandaient qu’à être embrassées. Les paroles de la brunette ne l’atteignirent même pas, Liana était en plein combat intérieur. Devait-elle le faire ou non ? Dans un soupir, elle se redressa péniblement, forçant son amie à faire de même. Les pensées s’emmêlaient dans sa boîte crânienne, à tel point qu’elle ne savait même plus où se cachait sa raison.

Son regard ne voulait plus lâcher celui de Bethany et son cœur continuait de s’affoler dans sa poitrine. Leurs visages restaient toujours bien trop près, elle pouvait sentir son souffle chaud et sucré contre son visage, de quoi la faire frissonner d’un désir qu’elle devait contenir. « Ce n’est rien Bethany… Tu ne pouvais pas savoir qu’elle se ferait la malle hein ? » Sa voix n’avait été qu’un murmure. « Je devrai même la remercier… Elle a su me rapprocher de toi comme je l’ai toujours souhaité. » Son esprit déraillé totalement et Liana avait fait taire toute pensée raisonnable.

Sa main vint se perdre dans ses boucles brunes alors que ses lèvres vinrent cueillir les siennes pour un baiser qui se voulait délicat. Liana ne voulait la forcer à rien, elle lui laissait la chance de s’échapper de cette étreinte, mais tout au fond d’elle, elle espérait qu’elle ne le ferait pas. Le goût onctueux de ses lèvres la rendait déjà folle.

 Les paroles de Bethany eurent l’effet d’un coup de poignard en plein cœur. Liana se recula rapidement, certes pas jusqu’à l’autre bout du canapé, mais suffisamment pour tenter de retirer cette lame meurtrière. Malgré les yeux clos de la brunette, l’italienne prit ces mots pour elle, à son sujet. Mais ce ne fut pas au goût de son amie qui vit se réfugier dans ses bras, ignorant sans doute le trouble qui bouffait Liana.

Elle refusa ce nouveau baiser, la repoussant plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu avant de se lever. Toute sérénité avait déserté son visage, on ne pouvait y lire que la tristesse et la déception. Les larmes n’avaient plus le droit de couler, elle s’interdisait de paraître faible aux yeux de celle qui venait de lui briser le cœur. « Comment est-ce que tu peux me dire ça ?! » Ses mains se glissèrent dans ses cheveux alors qu’elle faisait désormais les cent pas dans son salon.

Gancio sembla ressentir le désarroi de sa maîtresse et descendit quatre à quatre l’escalier pour la rejoindre, ses deux pattes sur ses genoux pour attirer son attention. Mais l’italienne était dans un tel état de fureur qu’il ignorait tout ce qui l’entourait. Elle regrettait d’avoir retiré la carapace qui avait toujours protégé son cœur. Celle qu’elle avait pris un temps fou à construire, mais qu’elle avait ôté pour les beaux yeux de Bethany.

Elle aurait dû se douter de cette réponse négative. « Je t’aime à en crever Bethany ! Comment est-ce que tu peux te permettre de juger mes sentiments comme ça ? Pensi che io sia un idiota? » Ses pas la guidèrent dans la cuisine, elle avait furieusement besoin d’une sigaretta avant qu’elle ne pète réellement les plombs. Ses doigts tremblants firent main basse sur son paquet et le briquet illumina son visage.

Un nuage de fumée s’échappa d’entre ses lèvres et ses yeux se fermèrent doucement pour apprécier ce court instant de répit. C’était si bon… Si réconfortant.

Liana se faisait violence pour ne pas péter les plombs et briser les dernières limites. Sa patience avait jeté les armes depuis déjà bien longtemps et ne cherchait pas à signer un traité de paix avec la colère. Elle n’avait jamais su gagner sur ce champ de bataille et jamais elle ne deviendrait vainqueur. La colère manqua de détruire toute dernière résistance quand des mains inquisitrices se posèrent sur l’armure de l’italienne. Comment osait-elle la toucher de la sorte après pareilles horreurs ? Une bonne gifle aurait pu l’aider à s’échapper et la foutre dehors, mais quelque chose d’étrange se dégageait de Bethany, paralysant tout mouvement de rejet.

Les paroles étaient une nouvelle vague d’assaillants qu’elle ne pouvait repousser, des mots qui agressaient les moindres de ses sentiments, se glissant à l’intérieur de son cœur pour semer le doute. Chacune de ses pensées était une grenade prête à exploser dans son esprit pour tuer la moindre porte de sortie. « Je te fais penser à Tara, c’est ça que tu es en train de me dire ? » Sa voix était sèche et cassante, aussi dure que la pierre qui avait façonné son cœur. Bethany était en train d’enchaîner les bourdes, bien sûr la jeune femme ne devait sûrement pas s’en rendre compte, mais elle détruisait les dernières ruines qui faisaient tenir Liana debout.

« Tu es perdue ? Tu ne sais pas choisir entre la fille qui t’a brisé le cœur et moi ? J’ai toujours été là pour toi Bethany ! J’ai choisi ton bonheur au détriment du mien et c’est comme ça que tu me remercies ? Ca fait mal bordel ! » D’un coup sec, elle chassa les mains de ses épaules et plaqua Bethany contre le mur, son visage à quelques souffles du sien. Son regard émeraude brûlait d’un feu dévastateur qui était en train de la consumer au fil des minutes. « Tes mots me blessent, mais ta présence me réconforte. » Ses lèvres se plaquèrent contre les siennes dans un baiser qui n’avait plus rien de tendre. La passion et le désespoir se mêlaient pour former un cocktail dangereux dont elle ne pouvait plus se passer.

Pourquoi est-ce que l’amour était une chose aussi compliquée ?

N'avez-vous jamais souhaité tout abandonner? Laissez vos pulsions guider votre vie? Après tout, réfléchir était bien trop douloureux et le coeur semblait être un échappatoire. Il n'en fallut pas plus à Liana pour perdre complètement ses dernières barrières. Sa solitude avait assez duré, elle avait désiré cette femme depuis trop longtemps pour la laisser glisser entre ses doigts. Peut-être n'était-ce qu'une histoire d'une nuit? Seul le destin pouvait en décider.

Les lèvres se mouvèrent les unes contre les autres alors que les mains se faisaient aventurières le long des courbes de la tentatrice espagnole. Liana prenait son temps, voulant découvrir son corps, le connaître par cœur. Son épiderme était gelée contre la sienne, mais elle n'en avait que faire, elle s'était retenue depuis trop longtemps. "Amo...Sono pazzo di te." Sa bouche se fit audacieuse contre son cou, les dents marquant ce nouveau territoire qui lui était offert, le désignant comme conquis.

Ignorant les aboiements des chiens, Liana usa de ses dernières forces pour porter sa belle et l'emmener là où elles ne feraient plus qu'une. Ses lèvres ne pouvaient se séparer des siennes, ce contact était comme une drogue pour son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. "Ti voglio" murmura-t-elle au creux de son oreille, mordillant son lobe dans une morsure bien trop légère pour lui faire découvrir la nouvelle vague d'un plaisir qu'elles ne pouvaient contrôler.

Liana les fit basculer sur le lit, son regard croisant le sien un court instant. Le temps semblait s'être figé entre elles, créant une bulle dans laquelle elles étaient toute deux enfermées. Et puis l'italienne franchit la dernière distance qui les séparait, scellant son coeur à cette délicieuse créature qui était la cause de tous ses tourments. Et puis...

Les souffles se mêlèrent, les corps se retrouvèrent dans un tourbillon de passion qui perturba le moindre des esprits présents dans la pièce. Il n’y avait plus de place pour la raison, pour les êtres sérieux qu’elles étaient censées être. Il n’y avait plus qu’elles et cette envie commune et pourtant si muette, elles souhaitaient chasser cette peine, cette douleur qui noircissaient leur univers respectif. Tout ce qu’elles souhaitaient, c’était se perdre dans la fougue de l’autre, de laisser la flamme passionnée les brûlait le temps d’un soir. Tout était parfait pour oublier.


Liana se réveilla en sursaut, son souffle trop court dans sa poitrine. Elle se leva en trombes et s'enferma dans les toilettes pour y vomir ses tripes. Ses doigts étaient cramponnés à la cuvette alors que tout son corps n'était plus que tremblements anxieux. Les images tourmentées de son cauchemar lui revenaient en mémoire alors qu'elle chancelait vers le lavabo pour s'asperger le visage.

Ses traits étaient tirés par la fatigue et ses yeux verts étaient éteints, la flamme de vie ayant déserté ses magnifiques iris. Un grognement s'échappa de sa gorge et elle eut le courage de quitter la pièce. Ses gestes se firent lents quand elle monta l'échelle qui menait au lit. Son coeur rata un battement quand elle aperçut la douce de Bethany dans ses draps. Un sourire des plus heureux fleurit sur son visage alors qu'elle s'empressait de la rejoindre.

Cette insouciance amoureuse finit tout de même par mourir lorsque les paroles de l'espagnole lui revinrent en mémoire. Il était difficile que cette belle brune ait pu ainsi la faire souffrir, elle semblait si paisible dans son sommeil et elle s'était montrée si douce cette nuit...

Une larme roula sur la joue de Liana avant qu'elle ne dépose un baiser sur l'épaule nue de son amante d'un soir. De sa baguette, elle fit apparaître un papier avant de fuir lâchement, pretextant que le boulot ne pouvait attendre.

La porte claqua et ce sachet si dangereux avait disparu de son étagère.

Je suis partie travailler.
N'oublie pas Scotty avant de partir.

Merci pour cette nuit.
Ton Italienne.