Gancio quitta son panier pour trottiner gaiement vers la porte. Dans sa gueule, il se saisit des lettres laissées par terre. Le salon était un véritable champ de bataille et cela depuis des semaines. Des vêtements étaient jetés à l’aveuglette sur les chaises et le canapé défoncés, alors que des centaines de papiers étaient disposés sur la table de la salle à manger, cette dernière menaçait de s’écrouler sous ce poids trop conséquent. La petite fenêtre de la cuisine était, encore une fois, restée ouverte, la vitre tremblant sous les rafales de vent.

L’animal quitta la pièce pour rejoindre les escaliers en colimaçon qu’il grimpa rapidement, sans le moindre problème. Il débouchait sur un petit grenier qui sentait le renfermé. Ici, tout était parfaitement rangé. La bibliothèque était pleine à craquer de livres pour enfants ou de journaux jaunis. L’armoire était fermée et ses portes placardées de photos de personnes joyeuses et souriantes. Il fit abstraction des cigarettes illicites dans le cendrier de verre.

Souplement, il arriva sur le matelas posé sur un simple sommier. De là, il observa la silhouette endormie sous la couette. Des cheveux noirs en pétard cachaient un visage serein. Couchée sur le côté, elle laissait apercevoir son effroyable tatouage alors que ses doigts étaient mollement resserrés autour de sa baguette magique. Le bois noir était fin et singulier, un simple manche incrusté de quelques pièces d’argent, rien de bien coquet. Gancio avait l’habitude de la voir ici, dans le lit, une personne aussi paranoïaque que l’endormie ne pouvait se passer de son arme plus d’une heure.

Il escalada le corps et ouvrit la gueule, une avalanche de courriers s’écrasa sur le visage de Liana qui se redressa dans un bond, sa baguette pointait sur le museau de son chien. Ce dernier jappa et lui lécha les doigts. Dans un soupir, elle le prit dans ses bras pour le glisser entre ses jambes. Il s’assit et poussa les lettres du bout de sa langue. « Arrête Gancio, j’en ai marre d’ouvrir du courrier baveux. » Elle le gratta entre les oreilles avant d’attraper quelques lettres. Des amis qui s’obstinaient à lui écrire sur des bouts de papier alors qu’elle leur avait bien comprendre qu’elle ne savait pas écrire. Enfin si elle savait, mais son écriture était illisible.

« Pousse-toi. » La brune quitta son lit pour attraper son paquet de cigarettes, elle glissa l’une d’elles entre ses lèvres et l’alluma du bout de sa baguette. Crachant une bouffée de fumée, elle se frotta les yeux pour chasser les dernières traces de sommeil. D’un pas lent, Liana se rendit dans la cuisine pour tenter de faire cuire les derniers œufs qui lui restaient. Sa bouche laissa échapper un nuage blanc à travers la fenêtre ouverte. « Tes croquettes… J’ai failli oublier. » D’un geste simple du poignet, elle ordonna au sac de nourriture pour chien de se verser dans la gamelle. « Force pas trop, tu as pris du poids Gancio. »

Une fois le petit-déjeuner avalé et la douche faîte, Liana enfila un t-shirt sans manche trop grand blanc et un jean troué. Pour ne pas se balader nus pieds, elle se chaussa de vieilles Doc Martins. Balançant sa cigarette dans la poubelle, elle quitta les lieux après avoir vérifié que son chien n’avait pas de quoi saccager les lieux.

Elle était à l’heure, surprise pour elle. Dans un grognement, elle salua son patron qui allait encore râler sur l’odeur de clope froide qu’elle dégageait. Elle leva les yeux au ciel avant de s’asperger de parfum, ne forçant pas la dose. Plateau en mains, elle accueillait les clients avec un grand sourire. Il fallait avouer que voir du monde lui faisait du bien, l’idée de rester seule dans son appartement lui donnait la nausée. Elle avait besoin d’être entourée, de voir des personnes vivantes.

Son œil de faucon saisit une silhouette à la porte. Cette dernière vint lourdement s’écraser sur une table sans saluer personne. Sans la saluer elle. Sa mâchoire se serra et ses jointures devant blanches autour du plateau métallique. D’un pas énergique et presque énervé, elle rejoignit la nouvelle cliente. « Bethany, t’as fait une nuit blanche ou quoi ? » Elle se pencha vers elle pour secouer son épaule. « Je te sers un whisky pur feu avec une chocogrenouille ? »

 Elle n’avait pas faim. Liana osait à peine y croire. Depuis qu’elle avait rencontré Bethany, jamais elle ne l’avait refusé une telle confiserie. Ses sourcils se froncèrent alors qu’elle réfléchissait à une possible solution de ce refus. Mais aucune idée ne lui vint à l’esprit. L’italienne lança un regard à son patron. Ce dernier était occupé à débattre avec un fournisseur, parfait.

D’un coup de baguette, elle amena une chaise pour pouvoir se placer aux côtés de son amie. La brunette se passa une main dans les cheveux, se redressant de tout son long pour donner un nouveau coup de baguette. Une bouteille de whisky s’envola dans les airs avec deux verres, les objets filèrent à travers le bar pour se poser tranquillement sur la table. « Eh… Amo… » Elle posa sa main sur son bras et caressa le tissu de son vêtement de son pouce.

Liana n’aimait pas voir la jeune femme dans cet état, elle nourrissait de profonds sentiments à son égard depuis quelques temps déjà. Elle devait se faire violence pour ne pas les annoncer au grand jour, connaissant l’amour que portait Bethany pour cette stupida de Tara. Il était difficile de se trouver dans la même pièce que cette chère employée du ministère. Liana murmurait souvent de nombreuses insultes en italien en les voyant aussi proches.

Ses lèvres déposèrent un baiser contre sa tempe avant qu’elle ne se redresse. « Qu’est-ce qui t’arrive ? Est-ce que je dois taper quelqu’un ? Qui est ce bastardo qui t’a mis dans cet état ? » Ses doigts se firent agiles autour du bouchon de la bouteille qu’elle ôta d’un simple geste. L’odeur de l’alcool terriblement fort lui piqua le nez, mais elle servit de bons verres.

Liana devait se faire discrète. Il lui était déjà arrivé de se faire attraper par son patron, de nombreuses fois. Il pouvait comprendre qu’elle souhaite prendre des pauses de temps en temps, mais boire au travail, c’était tout bonnement hors de question. Son regard émeraude chercha l’homme à moustache avant de se focaliser sur lui. Ses doigts caressèrent doucement son avant-bras droit et elle se figea. Il n’y avait aucun bracelet, aucun bandana pour dissimuler son tatouage. Elle le plaqua contre la table alors que son cœur battait fort dans sa poitrine.

 Son bras fut bientôt oublié lorsqu’elle entendit Bethany parler. Foirer. C’était bien la première fois qu’elle prononçait ce mot devant elle. La brunette avait toujours été enthousiaste avec la serveuse, lui balançant son bonheur à la figure avec un sourire rayonnant qui dissipait l’amertume de ses propos. L’italienne se voyait donc perplexe face à cette situation inconnue. Ses doigts fins vinrent se lier aux siens alors qu’elle s’accordait un regard vers son patron. Ce dernier avait rejoint le bar, son chiffon frottant inutilement la surface de travail, son regard de faucon accroché à son employée. Liana avait été prête à rejoindre son poste avant que les mots ne sortent de la bouche de son amie. Elle l’aimait.

Le goût du sang envahit sa langue alors que ses dents continuaient de mordre férocement l’intérieur de sa joue. Une simple technique pour l’empêcher de hurler son désespoir dans le bar. Tout le monde savait à quel point il était difficile de dissimuler l’amour que l’on avait pour une personne, surtout quand cette dernière était aveuglée par une autre. Le cœur de Liana avait pleuré en silence, se rassurant du mieux qu’il pouvait alors que l’esprit lui beuglait dessus, le forçant à passer à autre chose, mais rien n’y faisait, l’amour refusait de partir de là, il y était trop bien installé. « Ti ucciderò che cagna. » La rage avait pris possession de son murmure.

Son regard émeraude se perdit sur la gorge de la latina quand cette dernière vida son verre d’une traite. Elle aimerait tellement lui dire que dans ses bras, jamais elle ne connaitrait le malheur, la déception. Que ses lèvres scellèrent ses peurs et ses incertitudes. Que sa simple présence serait son paradis, mais c’était complètement absurde. Elle ne serait jamais sienne. Ses doigts libres se mirent à taquiner le verre vide. Née pour être seule, sa mère n’avait jamais été aussi précise cette fois-là. Maudite. Un ricanement triste s’échappa dans ses sombres pensées.

Son attention se porta de nouveau sur la demoiselle. Encore et toujours Tara, elle pouvait comprendre la détresse de la journaliste, se battre durant tant d’années pour se prendre un stop juste après… Mais elle aurait dû être réaliste. Liana avait été mise au courant de la raison de leur rupture et pour l’employée du Ministère, un retour en arrière reviendrait à un suicide. Mais là n’était pas le sujet, elle se devait de consoler son amie, et vite.

D’un geste vif, elle reprit la bouteille et la referma. L’alcool n’était visiblement pas une bonne solution. Elle allait arrêter là. « Eh Amo… Désolée tu vas sûrement m’en foutre une, mais tu aurais dû t’en douter. Tu l’as un peu lâché séchemment. Elle a tourné la page. » Elle lui caressa tendrement les cheveux avant de soupirer. « T’inquiète, une amie est toujours là pour toi. » Un bref sourire étira ses lèvres. « T’es toujours mignonne, même avec ton air de toxico. »

Liana se leva « Et pour éviter que mon patron ne vienne m’engueuler, je vais te chanter une petite chanson pour te remonter le moral. Attention, tu oublieras pas le pourboire. »

 Liana se râcla la gorge alors qu’elle prenait place sur le tabouret, ses jambes se croisant. Il fallait avouer qu’elle se demandait vraiment ce qu’elle était en train de faire. Aux dernières nouvelles, seuls ses doigts étaient doués pour la musique, sa voix était restée muette le plus clair du temps. Ce fut avec une nervosité certaine qu’elle empoigna sa baguette pour effectuer un sort. Sa voix désormais amplifiée, il ne lui restait plus qu’à jouer. Se penchant sur le côté, l’italienne empoigna la guitare et joua quelques accords. La mélodie sonnait agréablement à ses oreilles alors qu’elle se rappelait lentement des paroles. Son accent italien risquait d’en faire rire certains, tout comme en charmer. Elle allait devoir faire avec.


Tout en chantant, les souvenirs refluaient dans son esprit, laissant un frisson glacé le long de sa nuque. Elle se revoyait gosse, dissimulée sous les couvertures de son lit, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Mais aussi dans la rue, lors de ce froid glacial, à se meurtrir les doigts contre les cordes froides, pour quelques simples pièces, de quoi se payer une bouteille de vin bon marché. Son regard émeraude balaya la salle du regard avant de se poser sur Bethany. Elle ne chantait pas pour réveiller les fantômes de son passé, mais pour réconforter son amie, celle pour qui son cœur avait été fait prisonnier.


Sa voix ne s’élevait superbement dans les airs, elle n’avait pas le talent d’une soprano, mais la chanson restait douce et parfaitement adaptée pour réconforter une âme déroutée comme celle de la Latina. Elle pouvait sentir les larmes se battre pour couler sur ses joues, mais elle se retenait. Elle faisait ça pour elle, et seulement elle. Elle quitta son tabouret pour sauter de la scène et se balader entre les clients qui ne pouvaient s’empêcher de sourire en la voyant approcher. Elle chassa ses cheveux bruns de son visage et fit quelques pas supplémentaires pour se planter devant Bethany. Ses yeux émeraude ne quittaient plus le chocolat des siens.

When you let your heart be the compass
You won't get lost, not if you trust it
When you hear the sound of the trumpet
Louder than ever before

Oh, when you're almost there
Almost home
Just open up your eyes and go, go
Cause you're almost there
Almost home
Know you're not alone
You're almost home

When you're almost there
Almost home
Just open up your eyes and go, go
Almost there
You're almost home
Know you're not alone
You're almost home

Les dernières notes moururent sur les cordes et elle posa la guitare avant de faire une légère courbette, tout son sourire étant adressé à cette belle créature qu’elle voulait à tout prix coir rayonner de mille feux. Ce n’était pas un chagrin d’amour qui devait l’abattre, elle valait mieux que ça. Tara n’était plus qu’une amie, certes, mais elle ne l’avait pas perdu pour toujours. L’amitié était plus important que l’amour, c’est ce que se disait Liana pour ne pas pleurer tous les soirs. Il était difficile de voir la femme que l’on aime se lamenter sur une autre. Il fallait rester forte et être là, quoi qu’il en coûte. « Voilà pour toi Amo. »

 Son sourire, mon dieu qu'elle adorait son sourire. Voir Bethany sourire était une chose que lui était chère, elle aimait la voir heureuse et elle aimait être la raison de ce bonheur. Elle ne voulait qu'une chose à présent: La prendre dans ses bras et lui prouver son amour, lui déclarer sa flamme. Mais c'était se brûler les doigts avant de se jeter dans le vide. Jamais la brunette ne voudrait d'elle comme petite amie, pas après le fiasco de sa précédente relation. Le rejet de Tara devait être encore trop frais dans son esprit pour qu'elle puisse se laisser aller à cet amour infini que lui promettait l'italienne.

Pour l'instant, elle se contenterait d'être là, d'être cette étreinte rassurante et réconfortante. D'être cette amie toxico et lesbienne qui ne tarde jamais à être place dans le cercle d'amis qui n'iraient plus loin que cette simple relation amicale. Ca faisait mal de le dire, mais il fallait voir la vérité en face. Liana n'avait aucune chance d'avoir Bethany pour elle. Elle était le bouffon et elle la Reine. L'esclave et elle Cléopâtre. Aucune possibilité d'un amour entre elles. Réciproque en tout cas.

Elle se força à sourire et à regarder la journaliste dans les yeux. Elle se perdit dans la beauté de ces derniers et dut se faire violence pour écouter ce qu'elle lui disait. Elle rit à son tour et ne put s'empêcher de lui donner un petit coup d'épaule taquin. Malgré la tristesse de cet amour singulier, son amitié pour elle était forte, et elle se refusait à tirer une gueule pas possible devant elle. "C'est de ta faute. Tu n'avais qu'à pas toucher à ce verre."

Elle put entendre le raclement de gorge du patron et soupira. "Par contre, je vais devoir te laisser le travail m'appelle." Elle lui embrassa la tempe. "Prends soin de toi et oublie pas que je suis là." Un dernier sourire avant qu'elle ne file s'occuper des clients.