Si l’on tend l’oreille, un froissement de papier est perceptible dans la grande maison. Et dans l’une des chambres, deux pieds dépassent de dessous le lit. Ce sont de tout petit pieds. Et cette chambre est celle d’Edwin Fawley. Mais ce n’est pas lui alors dont nous apercevons les extrémités. C’est sa sœur, Rebecca. Elle n’a rien à faire là. Son frère est absent. Leurs parents aussi. Il n’y a qu’un monsieur qui vient pour le ménage et qui s’affaire à l’étage inférieur. Elle l’entend siffloter et agite inconsciemment les pieds au rythme de son chant. Il fait sombre là-dessus. La poussière se bat en duel avec une boîte. Une boîte dans laquelle son frère conserve des lettres très spéciales. Celles qu’il adresse et reçoit d’une jeune fille japonaise. Si, au début, Rebecca a pu suivre parfaitement leurs échanges, bien qu’elle n’en comprenne pas toujours la teneur, sa compréhension se fait plus rare à mesure qu’ils passent au japonais. Elle a essayé de prendre des cours renforcés, mais en secret, à grand coup de dictionnaires. Cela n’est pas particulièrement concluant. Voilà qu’elle se débat avec une simple ligne. Avant de renoncer. Mais pas par découragement. La porte d’entrée vient de claquer. Dans sa précipitation, Rebecca se cogne la tête. Elle se dépêche de remettre la lettre avec les autres et de sceller la boîte. Elle se faufile de dessous le lit et, d’un bond, regagne la porte. Quand sa mère arrive à l’étage, Rebecca est sagement assise devant une carte du monde. Certes, elle est un peu ébouriffée. « Toujours à étudier. » La sorcière ponctue sa phrase d’un surnom affectueux en finlandais, pays d’où elle est originaire. Puis, elle lui tend une lettre. « Ta grand-mère t’écrit, encore. » La dite-lettre contient tout un tas de recommandations. Mais c’est un délice pour la jeune fille qui ne rêve que d’une chose, apprendre, apprendre, apprendre, devenir la meilleure et faire honneur à sa famille. Elle sait que cela passe par bien des choses : un travail acharné, toujours un air digne et un mariage un jour dans les convenances. Ainsi, son frère formera l’alliance avec l’Asie, par le Japon, et Rebecca avec l’Afrique, par la Tunisie. Elle est trop jeune et bornée pour savoir alors que tout cela va changer. Que rien ne peut être définitivement écrit. Elle se dit juste qu’elle doit faire de son mieux, et mieux que les autres. Qu’elle sera une fierté pour sa famille et un modèle pour sa cousine Sarah. Des cousines, elle en a des tas. Mais il est vrai que le cœur humain reste enclin à nourrir des préférences…


Elle ne sait pas très bien ce qu’elle fait là. Elle comprend les grandes lignes, mais le reste, les détails du protocole notamment, restent flous. Edwin va rencontrer sa fiancée. Ils vont assister à une cérémonie. Voila déjà qu’ils s’installent dans la salle. Rebecca se tient la plus droite possible. Elle se tient aux côtés de ses parents et gonfle son torse d’une appréhension qu’elle ne peut nommer en voyant son frère s’avancer. C’est lui le principal héros de la scène qui est entrain de se jouer. Elle le suit du regard. Pourtant, elle ne voit et ne devine rien. Elle ne comprend pas alors quand on la pousse fermement dans le dos pour la faire quitter la pièce. Puis, que de longues minutes, peut-être des heures s’écoulent dans l’attente. Elle n’a pas compris. Il y avait deux filles, deux très belles filles. Elles ont soudain été emmenées hors de la pièce par un monsieur très sérieux. Rebecca ne comprend pas. Elle pose ses questions tout haut. « Que se passe-t-il ? » Pas de réponse. Rien. Elle chuchote pour son père sans réaliser la gravité de ce qu’il se passe. Comme une enfant perdue, elle cherche du sens à tout ça et le fait avec maladresse. « Elle le trouve trop moche, c’est ça ? » Cette fois, c’est un regard qui la cloue dans le silence. Jamais, oh jamais, sa mère ne l’avait regardée ainsi. Et il n’en faut pas plus… Elle se tient sage. Elle attend. Puis, il y a le changement qui suit. Le regard d’Edwin qui s’éteint. Les taquineries qui cessent un temps. Tout qui déraille. IL déraille et embarque tout avec lui. Rebecca le voit, le sent. Elle n’a pas de prise sur ça et elle cherche des explications. Alors, elle réalise qu’il n’y a plus de lettres. Puis elle entend ses parents parler. Le mariage est annulé. Et de ce regard dont elle a hérité, elle fixe les yeux déterminés de sa grand-mère maternelle. « Rebecca, je compte sur toi. » Voilà ce qui n’est pas dit mais ce qu’elle interprète. « Rebecca, tu n’es pas n’importe qui. » Elle pense à son propre engagement. Ou plutôt, à celui que l’on a pris pour elle. Elle est fiancée, à un jeune sorcier tunisien. Contrairement à son frère, ils n’ont jamais échangé. Mais, un jour, elle a reçu un petit manège en or décoré de pierres précieuses et enchanté. Un ouvrage délicat et fin tenant dans le creux de la main. Il était accompagné d’une simple indication : Pour Rebecca. Elle en a nourri des espoirs, des rêves en fixant ce simple petit objet. Inconsciente de ce que cela signifie, n’entendant pas grand-chose à l’amour, elle se dit que ce n’est pas grave un mariage arrangé. Que c’est le cours naturel des choses et que cela permettra à sa famille de maintenir ses alliances. Et puis, si elle le fait, peut-être qu’Edwin, lui, restera libre ? Quand son frère plonge, se noie dans des excès, elle semble alors s’élever. En vérité, elle compense ce qu’elle ne peut pas comprendre ou sauver, par les études. Par une quête toujours plus grande de perfection. Elle a ce besoin de réussir, de gagner. Elle le nourrit au point qu’il grandisse jusqu’à ce qu’elle reçoive cette lettre. La lettre de Poudlard.


Elle se tient là, sur ce tabouret, sur cette estrade, avec ce truc repoussant sur la tête. Elle se tient droite, fière, insupportable. Personne ne pourrait deviner qu’elle tremble intérieurement, qu’elle a l’estomac en nœud serré, qu’elle sent son cœur s’agiter. « Pitié, pitié, pas la maison des pouilleux… » A cette pensée, elle se mord les lèvres. Non, pas pouilleux, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, mais… Une maison avec un minimum de prestige. Pas celle des bienheureux. Ceux qui, au milieu de tout ce jaune, la regarde avec bienveillance et invitation comme pour lui dire « Tu seras la bienvenue si tu nous rejoins petite, courage ! » Beurk. Ça la dégoute tout cet amour. Non, non, elle ne veut pas aller là-bas. Et, en même temps, elle les fixe comme pour se rassurer. Ils lui envoient des ondes qu’elle méprise mais qui sont bienfaisantes. Sauf que ce n’est pas elle. Non, son cœur n’est pas aussi pur … Elle s’empêche de regarder cette autre table. Là-bas. La panique la submerge. Elle s’accroche au tabouret. Au dernier moment, alors que le Choixpeau s’éclaircit la gorge avec un ricanement, elle tourne la tête et plante son regard dans un regard identique, bleuté, infini, fort. Le plus aimé. Celui de son frère. Et elle réalise qu’elle n’a rien écouté, entendu. Elle descend du tabouret. Elle fixe les quatre tables, hébétée. Ce sont les applaudissements qui lui apprennent quelle sera sa maison. Alors, un sourire ravi inonde son visage. Instinctif. Incontrôlable. Elle s’assit à la grande table et laisse un petit rire s’échapper de ses lèvres. Une fille à sa droite l'interpelle : « Fawley, comme Edwin Fawley ? » Rebecca la fixe comme si elle savait tout, comme si elle était au-dessus de tout, et de tout le monde. « Fawley, comme Margareth et Andrew Fawley, les GRANDS, éthnomages qui voyagent dans le monde ENTIER. » Elle attrape le verre de jus de citrouille qu'un préfet lui tend et le sirote avec un air d'impératrice. Maintenant, elle peut suivre la répartition de manière plus détendue.  Et avec, il est vrai, un brin de prétention.


C’est une grande année. Tournoi des trois sorciers. Entrée de Sarah à l’école de sorcellerie. Et un grand frère qui s’assagit. (Presque. Un peu… On va faire comme ci.) Rebecca voit qu’il traine toujours avec la même fille. Que cela dure. Qu’il est différent. Qu’il est… Véritablement lui ? Toutefois, elle garde l’alerte. Cette fille, Seika, elle la surveille. Non pas qu’elle s’intéresse aux histoires de cœur de son frère. ABSOLUMENT PAS. Elle a des préoccupations bien plus grandes et hautement supérieures. MAIS, elle a un devoir de veille. Que ferait-il sans elle, c’est vrai ? Une fois, elle les a même suivis discrètement sans se douter de ce qui l’attendait. Ce fut l’une des plus grosses erreurs de sa vie ! Elle ne s’attendait pas à assister à… A… Un échange de baisers endiablés qui la poussa bien vite à fuir, loin, très loin. Ce qui fut endiablé aussi, c’est le poing d’Edwin atterrissant sur le visage lunaire et hautement agaçant du père de Seika. Elle est partagée depuis entre se dire que son frère est définitivement irrécupérable et réaliser qu’il est véritablement amoureux. Mais il n’y a pas que son frère dans l’équation à Poudlard désormais. Il y a aussi sa cousine Sarah. Et surtout, élément non-négligeable, sa propre ascension vers la GLOIRE !