Soupirer. Jeter un regard perdu tout autour de la pièce, puis re-soupirer. Olivia ne savait plus combien de fois elle avait répété ce petit manège, tout en se rongeant les ongles jusqu’au sang, plutôt que de se concentrer sur ce qu’elle avait à faire. Des devoirs à corriger, encore et toujours. Si elle n’était pas si réticente à avouer ses torts et ses «échecs», la jeune femme aurait bien dû admettre qu’elle n’était pas belle à voir : des cernes creusaient ses traits fins, résultat de (trop) longues soirées passées devant ces maudites copies, ou à préparer ses cours, ses ongles ne ressemblaient plus à rien, et jamais elle ne s’était autant négligée, de la coiffure jusqu’à l’habillement.

Poussant un soupir plus lourd que d’habitude, Olivia jeta un coup d’oeil par la fenêtre de ses appartements. Il faisait un temps magnifique, c’était enfin le week-end, et elle sentait qu’elle allait exploser si elle restait une demie-minute supplémentaire devant ces parchemins. C’étaient trois raisons largement suffisantes pour la pousser à tout remettre au lendemain et sortir se détendre un peu. Repoussant vaguement sa culpabilité et toutes les raisons rationnelles de rester vissée sur cette chaise, elle se leva d’un bond et sortit sans se retourner.

D’un pas léger, elle avait traversé tout le château avant de se rendre à Pré-au-Lard, retrouvant avec une joie non dissimulée, le charme de ses rues et son côté réconfortant. C’était au moins l’un des avantages à être professeur, elle n’avait plus à attendre le deuxième dimanche du mois pour s’y rendre ! Après avoir flâné quelques instants, Olivia se rendit directement dans le bar du coin qu’elle affectionnait particulièrement, à savoir, les Trois Balais. Elle alla s’asseoir à une table proche du bar, saluant d’un sourire et d’un geste de la main Liana, une serveuse qu’elle appréciait et avec qui elle aimait discuter.

Comme d’habitude, le bar était animé d’une ambiance joyeuse, quoiqu’Olivia trouva qu’il y avait bien peu de monde comparé à d’habitude. Mais demeurait toujours cette musique de fond, dynamique, et les habitués qui emplissaient l’endroit de leurs conversations émaillées de rire. Pour quelqu’un qui, comme elle, était restée enfermée ces dernières semaines, presque coupée du monde extérieur tant elle peinait à tout organiser, cet épisode était rafraîchissant et diablement bienvenu. Pendant un instant, elle suivit du regard la silhouette mince de la serveuse louvoyer entre les tables, avant que celle-ci ne vienne la rejoindre. Olivia lui rendit son sourire, un vrai sourire sincère et autrement plus détendu que ce qu’elle avait pu servir à son entourage ces derniers temps. L’emploi de son surnom, «Booty Call», souvenir d’une soirée fort agréable, lui arracha un léger rire. -Salut Li, comment tu vas ? Ça fait longtemps ! Lança la jeune femme, histoire de souligner l’évidence. -Je vais juste te prendre une bièreaubeurre s’il te plaît !

Par ces temps, et alors que la chaleur commeçait à pointer le bout de son nez, cela ne pourrait que lui faire du bien. D’ailleurs, son amie ne tarda pas à remarquer sa triste mine. Ce n’était pas génial de se présenter ainsi, mais Olivia prit le parti d’en rire un peu. Après tout, elle avait bien besoin de se détendre un peu, et aussi de reconnaître qu’elle était actuellement en galère. -La fin de l’année et l’approche des examens n’est jamais facile ! J’en ai même deux qui ont commencé à régler leur compte durant le dernier cours, j’ai cru que j’allais les mettre dehors ! Mais bon, s’il n’y avait que les élèves... J’ai déjà dû te parler de mon don singulier pour l’organisation ... Ironisa la brune, versant volontiers dans l’auto-dérision.

Ce fut à cet instant qu’un des habitués, un vieil homme qui ne pouvait visiblement pas s’empêcher d’écouter leur conversation, fit le rapprochement avec un certain état d’esprit des nés-moldus. Olivia aurait pu s’amuser de son sans-gêne, mais ses paroles la glacèrent, et ses sourcils se froncèrent, creusant des plis marqués sur son front. Elle n’avait pas beaucoup suivi l’actualité du monde sorcier, déjà bien trop débordée pour accorder plus d’un coup d’oeil à la Gazette du Sorcier. Alors que Liana le rappelait un ordre en italien, elle se creusa les méninges. Le seul événement qui pourrait expliquer de telles paroles était l’acte de vandalisme au Musée du Souvenir. Mais comme pour bien d’autres choses, Olivia n’y avait guère prêté attention. Elle avait préféré catégoriser cet incident comme un cas d’école de vandalisme commis par des vagabonds ou autre parias, d’autant que l’événement n’avait pas été grandement médiatisé. Et si c’était plus grave ?

-Liana ? Qu’est-ce qu’il voulait dire ?

Pour l’instant, et bien plus que les paroles jetées en l’air par le vieil homme attablé, ce furent l’hésitation et la crispation de Liana qui inquiétèrent véritablement Olivia. La chose devait vraiment être sérieuse si elle méritait une telle retenue et une telle prudence de la part de la jeune serveuse. La jeune femme se maudit de n’avoir pas plus consulté l’actualité ces derniers temps, voilà où est-ce que ce genre de manque d’intérêt pouvait la mener !

La brune observa son interlocutrice donner le change pour ne pas se faire remarquer par le tenancier des 3 Balais, et eut un sourire plein de gratitude pour Liana. Sa curiosité et ses questions pourraient bien la mettre dans l’embarras, et c’était bien la dernière chose qu’elle souhaitait. Mais bien vite, au fur et à mesure que son amie parlait, elle sentit son sourire glisser et disparaître totalement, les coins de sa bouche s’affaissant en une moue inquiète. -Oh Merlin ! Ca pourrait vraiment être le cas ? Recommencer comme la dernière fois ? S’alarma la jeune professeure, catastrophée. Cela avait beau être une rumeur colportée par un vieux fou, elle voulait avoir une confirmation, sentant déjà la crainte creuser un nid insidieux dans son esprit. Elle n’avait jamais été courageuse, et ne se sentait pas les épaules pour affronter la renaissance de cette idéologie. Certes, le racisme anti-moldu ou contre les nés-moldus n’était jamais vraiment mort, surtout chez les vieilles familles. Mais ses partisans, lâches, honteux, ou désireux de faire bonne figure, avaient tu leurs idées, jusqu’à présent.

Olivia était arrivée à Poudlard, puis sur le monde du travail, à l’époque bénie où la défaite de Voldemort et ses conséquences étaient encore retentissantes. Les vieilles familles faisaient profil bas, et les nés-moldus étaient enfin reconnus non pas comme des voleurs, mais comme de véritables sorciers méritant leur don. Mais elle se souvenait encore de la peur qui l’avait habitée, durant ces deux années où ils avaient dû rester cachés, elle et son frère. Elle se souvenait encore des discussions houleuses entre Connor et ses parents, l’angoisse à grand peine dissimulée... Pour rien au monde elle ne voudrait revivre cela.

Perdue dans ses pensées, la jeune femme sursauta lorsque Liana déposa sa bièreaubeurre devant elle. -Merci ! Souffla -t- elle avec un sourire reconnaissant. Elle en prit une gorgée, avant de relever le regard vers la jeune serveuse. -J’espère vraiment que ce ne sont que des rumeurs... Je veux dire, on s’habitue vite à ne plus subir ce genre de discrimination, pas vrai ? Relança -t- elle, un peu gênée. Elle ne savait évidemment rien des origines de Liana, et de ce fait, parlait un peu sans savoir.

Olivia ne se doutait pas le moins du monde qu’elle contribuait involontairement au malaise de sa camarade. A vrai dire, tant qu’elle ne serait pas pleinement rassurée quant à ces «rumeurs» elle ne verrait pas grand chose, assez égoïstement. Pour ainsi dire, voir ce genre de ragots se vérifier mettrait en péril son petit monde bien confortable et sécurisant, et elle aurait sans doute du mal à l’accepter. Lorsqu’elle repenserait à cette discussion, plus tard, sans doute se sentira -t- elle un peu coupable de n’avoir vu que sa propre situation, sur le moment.

Ecoutant la brune qui se voulait être rassurante, la jeune femme eut un mouvement d’épaule désabusé, semblant vouloir dire qu’elle n’y croyait pas plus que cela. Pourtant, elle était du genre rationnelle, froidement terre - à - terre dans les cas les plus extrêmes, et donc, la moins à même de croire à ce genre de racontars de quartier. Et pourtant... Le souvenir de la dernière guerre était encore trop frais, trop présent pour que ces dires ne trouvent pas une prise quelconque, pour une grande partie de la communauté sorcière. Olivia finit par hocher vaguement la tête à la suite des paroles réconfortantes de son amie. -Oui mais ce que je veux dire... C’est que ça m’étonnerait grandement que les partisans de Voldemort, ou plus généralement de l’idéologie anti moldu et nés-moldus aient abandonnés leurs idées en un claquement de doigt... Releva -t- elle d’un ton davantage angoissé, soulignant ses propos en levant un doigt inquisiteur.

Comme pour renforcer le trouble qu’il avait jeté dans la discussion des deux jeunes femmes, le vieil homme en rajouta une couche : «Vous ne craignez pas pour vos proches vous ?» Bien sûr que si, eut-elle envie de lui cracher, énervée par son comportement intrusif et angoissant. Mais elle se refocalisa sur Liana qui poursuivait sur sa lancée. -Oui, je suis née-moldue... J’espère que ça ira ... Surtout que mon frère travaille au Ministère de la Magie... En tout cas merci ! Conclut-elle, faisant référence aux efforts que faisait Liana pour la rassurer. Puis, dans un éclat de conscience, elle se rendit compte que la discussion ne tournait pour l’instant qu’autour de ses propres inquiétudes, et que sa camarade avait l’air... tendue, dirons-nous. -Et toi, ça va ? Ta famille n’est pas concernée au moins ?

Un long et pesant silence s’installa suite à sa question. Olivia ne quittait pas son amie des yeux, soudain inquiète de la voir plongée dans ce mutisme. Elle avait l’air d’être au bord de la panique, ce qui confortait la jeune femme sur ce point : la famille de Liana devait sans doute être impliquée d’une manière ou d’une autre. Seulement, elle était loin de se douter que ce n’était pas dans le sens qu’elle entendait... Sur le coup, elle sentait bien bête, gênée d’avoir mis son amie dans un tel état.

Pourtant, dans le début de la réponse, elle semblait s’être détachée totalement de sa famille, au point d’en paraître froide et amère dans son ton. Mais lorsqu’elle lâcha cette bombe, Olivia marqua un ton d’arrêt, choquée. Son premier réflexe fut de se retourner vers les clients autour, mais heureusement pour Liana, même le vieil inquisiteur semblait avoir lâché l’affaire. Personne n’avait fait attention à ces paroles malencontreuses.

Son cerveau tournait à plein régime alors que son coeur s’était complètement affolé. Si elle en croyait ce lapsus, la famille de Liana était, sinon des Mangemorts, des partisans de cette stupide politique du sang pur. En soi, c’était une raison amplement suffisante pour se méfier, s’enfuir, ou même causer un scandale dans le bar. Mais Olivia était loin d’être ce genre de personne impulsive et irréfléchie. Elle avait toujours été rationnelle, froidement même. Le fait était que Liana était son amie et qu’elle n’avait jamais manifesté le moindre signe de mépris ou d’animosité envers un né moldu ou autre. Cela changeait donc considérablement la donne. Se maudissant de ne pouvoir gommer l’inquiétude dans sa voix et adoptant un ton qu’elle voulait calme et plus bas, la jeune femme finit par répondre après quelques minutes d’un silence choqué. Quelques minutes durant lesquelles elle n’avait pu s’empêcher de dévisager la serveuse comme si elle la découvrait sous un jour nouveau.

-Qu’est-ce que tu veux dire ?

Comme pour lui signifier qu’elle n’allait pas hurler au monstre ou l’accuser de tous les maux, elle lui adressa un maigre sourire, espérant qu’il soit rassurant.