Charlie ressemblait à un fantôme dans les couloirs de l’école. Des cernes s’étaient dessinés sous ses yeux fatigués et son allure était des plus lentes. La nuit blanche qu’elle avait passée ne l’avait pas aidé à se remettre du cauchemar. Elle avait tout fait pour essayer de l’oublier, mais rien n’y faisait, les images revenaient en boucles dans son esprit. Cette silhouette de dos dans l’herbe, cette voix qui semblait venir d’ailleurs et ce cri plaintif qui finissait par la rendre sourde. Son cœur se serrait à ce souvenir et elle secoua doucement la tête.


Sa voix revenait la hanter de nouveau. Cette chanson ne semblait plus vouloir quitter son esprit épuisé. Un profond soupir s’échappa d’entre ses lèvres alors qu’elle se forçait à poursuivre son chemin. Les regards se perdaient sur sa silhouette courbée, ses cheveux devenaient rideaux autour de son visage. Il était rare de voir la préfète-en-chef dans cet état-là. D’habitude, elle prenait la peine de mettre des barrières autour de son cœur fragile, mais ce matin, elle n’en avait pas eu la force.


Elle sera les dents et se fit violence pour faire taire les paroles. Mais ces dernières s’accrochaient aux souvenirs pour mieux lui susurrer quelques nombreux regrets qui lui broyaient le moral. Si ça continuait comme ça, elle n’allait pas tarder à craquer. Elle n’avait pas craqué depuis l’annonce du décès de son amie. Elle s’était promise de ne plus le faire en public, d’attendre d’être cachée sous ses draps pour laisser les larmes souiller son visage si angélique. Il fallait qu’elle soit forte. Pour Felix. Pour elle-même. Pour Aylen. Elle n’avait pas le droit de craquer devant la Serpentard.


Elle se stoppa dans le couloir et laisse son regard traîner sur la petite cour au cœur du couloir. Elle était là, assise sur le muret, sa guitare sur les genoux. Son cœur se serra et son ventre se noua. Ses doigts se mouvaient sur les cordes, ses cheveux noirs étaient rejetés sur ses épaules. Sa bouche se mouvait au fil des paroles, elle semblait si paisible, concentrée. Et puis son regard azuré rencontra le sien confus et tout disparut. La douleur fut terrible et Charlie s’appuya contre le mur, le souffle court. Garder toute cette pression, cette culpabilité, ces regrets pour elle-même… Ca la tuait à petits feux. « Fous-moi la paix… » souffla-t-elle en reprenant une respiration convenable.

Runaway train, never goin' back
Wrong way on a one-way track
Seems like I should be getting somewhere
Somehow I'm neither here nor there

“FERME-LA!” Elle balança le premier livre qui lui venait sous la main. Ce dernier s’écroula lourdement au sol et elle laissa le rester tomber par terre. Se laissant glisser contre le mur, elle enroula ses genoux de ses bras, son visage se cacha dans le creux de ses coudes alors qu’elle était en sanglots. Pourquoi est-ce que tout lui revenait en pleine figure aussi brutalement ? Elle avait cru pouvoir surmonter cette épreuve seule, mais c’était un véritable échec. Elle était foutue. Littéralement foutue.

Son prénom venait d’être prononcé, elle se pétrifiait. Elle jurait avoir entendu la voix de Lexie dans les couloirs. Elle cacha un peu plus son visage dans ses bras par réflexe, un moyen ridicule de se protéger de ce fantôme qui lui voulait sûrement du mal. Un sursaut la prit lorsqu’une main se posa sur son épaule. Son regard paniqué se plongea dans celui étranger du professeur. Ce contact, il n’était pas aussi doux et rassurant que celui de sa défunte amie. La paume était bien trop large et les doigts bien trop grands.

Charlie déglutit difficilement quand elle se rendit enfin compte qu’il s’agissait d’un professeur. Il venait de la surprendre dans le couloir, en larmes, parlant dans le vide. Il allait la prendre une folle et allait informer la directrice. Cette idée l’effraya : Personne ne savait pour son impossibilité à faire son deuil. Il fallait que tout ça reste secret, il le fallait absolument. Il lui demandait de parler, de le regarder. Mais elle avait trop peur pour prononcer, ne serait-ce, qu’un mot. Elle était fichue. Et voilà que les paroles reprenaient dans son crâne. Ce monde la voulait folle.

Tout son corps se tendit quand cette main aux doigts rugueux caressa ses cheveux. Elle se dégagea d’un coup sec, mal à l’aise en sa présence. Mais il ne l’avait pas prise pour une dingue. C’était tellement le bordel dans son crâne, elle ne savait plus du tout quoi penser. Son regard émeraude se posa sur Adriel, ses doigts trituraient les manches de sa robe. Elle ne l’avait vu que quelques fois lorsqu’elle s’aventurait près des enclos. Elle n’avait jamais senti le besoin de lui adresser la parole. Elle le trouvait bien trop étrange pour ça.

« On ? Les professeurs peut-être ? Vous êtes bien trop langues de vipère pour qu’on vous confie des secrets. » Elle avait déjà fait l’expérience. Hors de question que tout se répète. Mais son cœur la poussait à se confier, il ne ressemblait pas aux autres enseignants. Elle pouvait sentir qu’il était tout aussi brisé qu’elle. « Mais si vous y tenez vraiment… » soupira-t-elle. Ses doigts s’emparèrent d’un fil de son vêtement et elle tira lentement dessus.

« Vous avez déjà dû faire face à un décès ? Vous avez déjà ressenti cette culpabilité ? Cette impuissance ? » Son regard se perdait de nouveau dans le vide, plus précisément sur le muret où le fantôme de Lexie l’avait hanté quelques minutes plus tôt.

Il s’éloignait. Charlie s’autorisa à respirer plus calmement malgré le tremblement de ses mains. Les images défilaient précipitamment dans son esprit, de quoi la faire frémir de nouveau. Elle crut sentir le fantôme de ses doigts contre les siens et sa gorge se serra. Par pitié que ça s’arrête, il lui était impossible de passer à autre chose si son souvenir la hantait de la sorte.

Son regard émeraude trempé de larmes se leva vers celui torturé de son professeur. Une grimace enlaidit ses traits lorsqu’elle le vit glisser une cigarette entre ses doigts. Comment pouvait-on laisser ce poison se répandre dans les poumons ? Elle secoua la tête et fixa un point imaginaire, sa respiration ne voulait pas devenir plus facile, au contraire. Son dos prit un meilleur appui sur le mur, créa un courant glacé le long de sa colonne vertébrale.

Charlie avait besoin d’Aylen, de ses bras, de sa chaleur, de son réconfort. Hélas, la rouquine n’était pas au courant du malheur qui la rongeait comme un cancer. Elle ne voulait pas voir son regard s’emplir de pitié lorsqu’il se posait sur elle. Non. Elle aurait cette horrible impression de voir sa mère lors du divorce. Non. Non elle n’était pas faible. Elle n’était pas faible… Ses poings se serrèrent contre ses jambes et sa mâchoire se crispa pour retenir une avalanche de larmes.

Elle l’écoutait sans vraiment le faire, elle était bien trop tourmentée pour prêter attention au monde qui l’entourait. Chaque regard posait çà et là lui provoquait une remontée de souvenirs douloureux. Mais une phrase fit cesser son cœur de battre. Il avait été là… Là lors de la guerre. Elle avait entendu des histoires sur cette bataille, de quoi lui faire froid dans le dos. Alors elle n’imaginait pas le vivre réellement. Comment ne pas y penser quand on se laissait aller dans les bras de Morphée ? Se dire que ceux qu’on avait connus n’auraient jamais cette chance d’ouvrir les yeux sur un nouveau jour.

Il avait perdu quelqu’un. Pas étonnant. Elle n’en était presque pas étonnée, mais compatissait pour cette perte. L’arrière de son crâne prit appui sur le mur de pierres alors qu’elle fermait les yeux. Elle prit une grande inspiration avant de les rouvrir, une simple larme glissa sur sa joue. « Elle s’appelait Lexie MacKay. C’était ma meilleure amie… Ma confidente… » Sa voix se brisa, mais elle continua. « On la connaissait pour faire des conneries, mais elle était tellement plus que ça…Elle était… »

Elle n’y arrivait pas. C’était trop douloureux, son cœur ne le supportait pas.

Elle devait se le dire, elle devait le comprendre. Charlie n’était pas prête. Malgré les semaines, les jours, les heures, les minutes, son cœur refusait de s’ouvrir, d’écouter. La douleur lui faisait bien trop peur, mieux valait laisser cette chose cacher le plus longtemps possible, fuir cette souffrance qui la guettait à chaque tournant. Une partie d’elle refusait de la voir pleurer de nouveau, elle ne méritait pas une telle chose. Charlie avait toujours été une fille au large sourire et aux idées heureuses, jamais elle n’avait passé ses soirées à se réfugier sous la couette pour pleurer des heures durant.

Une préfète-en-chef que tous les élèves de toute année avaient toujours adoré et elle fuyait son poste désormais. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, une silhouette sans vie qui s’éloignait des gens qu’elle aimait. Combien de fois avait-elle demandé à Magnolia de foutre le camp quand cette dernière était seulement venue vérifier son état ? Combien de fois avait-elle menti à Lacey quand cette dernière lui avait demandé si tout allait bien ? Elle se mentait à elle-même.

Son regard salit de larmes se plongea dans celui du professeur. Il ne faisait rien de mal, il cherchait seulement à lui faire comprendre qu’il n’y avait plus rien à faire, qu’il fallait la laisser partir. Mais Charlie s’y refusait. Elle était capable de faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui redonner la vie, la rechercher dans les abysses du passé. C’était complètement fou, mais comment était-il possible de raisonner une adolescente brisée, perdue ?

Lexie aurait souhaité qu’elle se batte. Se battre pour quoi ? Reprendre le train en marche ? Comment le pouvait-elle ? Se prenant la tête dans les mains, elle lâcha un sanglot. La douleur attaquait désormais son cœur qui cherchait désespérément à se défendre. Etre heureuse pour elle ? Etre heureuse pour continuer de faire vivre Lexie à travers son sourire, sa bonne humeur ? C’était complètement stupide.

« Je… » La guerre avait commencé dans son esprit fatigué. Elle avait besoin d’être seule, de réfléchir, de laisser les obscures pensées s’échapper de leur prison. Charlie se redressa en s’aidant du mur, prenant soin de fuir le regard du professeur. « Merci… J’y penserai. » Et sans rien ajouter, elle fila dans les couloirs. Certains élèves l’interpellèrent dans les couloirs, mais elle fit fie de leur présence et continua sa course. Ses livres avaient été laissés sur le pavé, mais elle n’en avait que faire.

Sa silhouette s’écrasa sur son lit, ses doigts fins fouillèrent sa table de chevet avant de se refermer sur le casque. D’un geste tremblant, elle le déposa sur ses oreilles et mit l’appareil en marche. La voix envoûtante de la défunte résonna dans son crâne et les larmes se mirent doucement à couler.

“Je suis désolée Lexie.” Mais je vais devoir t’oublier. Elle se saisit de sa baguette alors qu’elle s’asseyait sur le bord de son lit. Le bois glissa contre la paume de ses mains, son souffle se régulant doucement dans sa poitrine. Son regard déterminé fixait un point imaginaire dans le dortoir, alors qu’elle répétait –dans un murmure – le sort. Un mot et tout était oublié. Un seul petit mot. Elle pouvait le faire.

Ses yeux se fermèrent et le bout de la baguette se déposa sur sa tempe. Elle était une élève expérimentée, il y avait très peu de chances que cela dérape. Quelle inconsciente. Une seule seconde et tout était terminé. Son sourire, son rire, son regard, sa voix, sa présence, ses souvenirs, tout ça serait à jamais oublié. Lexie MacKay n’aurait jamais croisé sa route. « Ou… »

La baguette s’échappa d’entre ses doigts, heurtant le sol avant de disparaître sous le lit. Charlie s’écrasa sur le lit en cachant son visage dans ses mains. Quelle conne, elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas l’oublier.


Son regard se tourna vers le lecteur CD et une idée fleurit dans son esprit. Une lumière dans ce monde de ténèbres. Ses doigts se refermèrent dessus alors que ses lèvres s’entrouvrirent. Elle pouvait faire ça pour elle, pour Lexie, pour que les gens se rendent compte de ce talent parti trop tôt. « Je vais te sauver Lexie. »