Devoir travailler à deux avait toujours été un cauchemar personnel d'Aylen. Pas qu'elle était incapable de se faire à l'idée de travailler avec quelqu'un, loin s'en faut, mais elle n'aimait pas parce qu'elle trouvait rarement en ses pairs des égaux intellectuellement. Et puis elle avait l'habitude de travailler avec sa sœur jusque là. Avoir une jumelle était quelque chose de pratique voyez-vous ? On pouvait très facilement savoir ce que l'autre voulait faire et travailler de concert était un jeu d'enfant grâce à la connaissance parfaite des habitudes de l'autre. C'était donc un atout majeur lorsqu'il s'agissait de devoir travailler.
Ceci dit, sa récente condition avait bien évidemment renforcé sa "haine" du travail de groupe puisqu'elle ne connaissait plus personne et était devenu un animal de foire en quelque sorte. Aussi lorsque le professeur avait annoncé qu'il faudrait qu'elle travaille de concert avec une autre élève, elle n'avait pas pu s'empêcher de pousser un long et profond soupir. Surtout qu'elle ne pouvait même pas choisir avec qui elle allait travailler, non, il s'agissait de paires imposées.

C'est ainsi qu'elle se retrouva avec Victoire Weasley en binôme. Evidemment, elle connaissait le nom des Weasley. Il était partout, quand bien même elle n'avait jamais eu l'occasion d'en rencontrer un. Jusque récemment.
Désormais, ils pullulaient dans Poudlard et il était devenu impossible de s'en défaire. Partout où elle allait, elle croisait un Weasley. Fort heureusement, elle n'avait elle-même aucun lien avec eux au delà de ses connaissances pour l'histoire de la Seconde Grande Guerre Sorcière.
Autant dire qu'en tant que fille de Mangemort, elle n'avait pas nécessairement envie de travailler avec l'un d'eux. Oh, pas qu'elle-même croyait en ces idéologies stupides, mais les gens avaient cette tendance à juger rapidement quelqu'un lorsqu'ils connaissaient un minimum leur historique.
Et peut-être que cela avait changé avec les années, mais elle doutait que la famille ayant joué un rôle majeur dans la fin de cette guerre ait encouragé leurs enfants à aller copiner avec la descendance de ceux qu'ils avaient combattus.

Dans tous les cas, l'adolescente fit tout pour éviter sa partenaire de travail. Elle n'avait pas du tout envie de devoir la supporter pour le moment. Elle pourrait toujours faire le travail toute seule, sans elle, de toute façon, ce n'était pas comme si elle avait besoin de quiconque.
Elle se suffisait à elle-même, elle se suffisait à elle-même, elle se suffisait à elle-même.
Sa sœur lui manquait.

Cette petite mascarade dura quelques jours bien sûr : chaque fois qu'elle apercevait la jolie tête rousse, elle changeait de couloir ou prenait refuse derrière un groupe d'élève afin de ne pas être remarqué.
Des fois elle regrettait de ne pas avoir conservé ses capacités d'animagus qu'elle avait su acquérir. Bah. Elle y travaillerait, ce n'était pas un problème non plus pour elle. Hm. Elle pourrait profiter d'avoir une autorisation pour la réserve pour conduire ses recherches peut-être...
Bien.
En voilà une merveilleuse idée.
Ceci dit elle doutait que se transformer en corbeau l'aiderait à éviter sa camarade de classe. C'était en réfléchissant à tout ça qu'elle profita de la pause du midi pour se rendre aux toilettes. Pas que ce soit le meilleur endroit au monde pour prendre sa pause, mais comme tout à chacun, l'adolescente avait des besoins on ne peut plus naturel.
Et ce fut là sa chute.

En effet, comment fuir quand la seule porte de sortie était gardée par une tête rousse après qu'Aylen se soit lavée les mains ? Comment l'ignorer alors qu'elle se tenait juste devant elle, visiblement déterminée à la coincer pour parler.
Elle allait devoir rendre les armes, la voilà piégée.
Elle ferme les yeux quelques secondes et pousse un soupir.
« Oui oui je sais, on doit travailler sur un projet. Ecoute, sans vouloir t'offenser, c'est mieux si tu me laissais tout faire, d'accord ? Promis, tu auras un joli optimal, t'en fais pas. Maintenant j'aimerais bien passer. »
Elle fit un geste de la main lui indiquant qu'elle aimerait qu'elle s'écarte du chemin.

Les Poufsouffle... elle aurait dû s'attendre à quelque chose du genre si elle avait réfléchit plus de deux secondes à la situation. Et elle l'avait fait en soi, mais elle s'était trompée d'angle d'approche, même si au final ça ne changeait rien pour elle. Cette fille avec son air de chien battu et ses grands yeux qui balayent un regard presque innocent – presque car personne n'était entièrement innocent – sur le monde.
Elle inspira profondément en ouvrant les lèvres et en levant les yeux au ciel.
Puis elle se mordait la lèvre.
Elle allait la laisser parler.
Expira dans un soupir qui se voulait profond.
Patience, Aylen.
Patience.
La lèvre tremblante de la rousse face à elle la fit à peine froncer les sourcils.
Sérieusement ? Elle en était là ? Elle se demanda une seconde quel lien elle avait pu avoir avec cette gamine à l'air pleurnichard et elle posa ses mains sur ses hanches en prenant un air réprobateur et peut-être un poil méprisant en l'écoutant. Sérieusement ?
Elle se rendait compte de l'impression générale qu'elle donnait avec un tel discours ? Non, sans doute pas.

Les émotions qui se dégageaient de Victoire firent hausser un sourcil à l'adolescente. Le trémolo dans la voix, la nervosité, la difficulté à choisir ses mots... Est-ce que... ?
Non.
Pas possible. Elle ne pouvait pas avoir changé à ce point.
Toutefois...
« Avant toute chose je vais prier Merlin que tu n'es pas en train d'insinuer ce que je pense que tu insinues, » elle la dévisagea de haut en bas avant de revenir à son visage, « parce qu'une liaison de mon ancien moi avec une élève est vraiment tout ce que je ne souhaite pas. »
Voilà, c'était dit.
Elle secoua la tête et passa une main dans ses cheveux.
« Ceci dit, je ne compte pas être ton amie ou t'aider, et l'aide que tu me proposes ? Merci mais non merci. Parce que ce n'est pas moi que tu veux aider mais celle que j'étais et que je ne serais plus jamais à moins de trouver une solution. Alors arrête de me faire perdre mon temps. »
Son ton était froid, mais ce n'était pas le même froid que celui qu'elle déployait adulte. Adulte, son ton était comme la brise d'été qui balaye la chaleur désagréable qui colle à la peau, c'était le calme marin et infini de la mer.
Là, son ton était les bourrasques glaciales qui balayaient les terres avant la tempête, charriant des relents statiques, prêt à grossir pour déraciner les arbres les plus anciens.

Et elle s'était penchée en avant, menaçante.
« Tu veux qu'on travaille ensemble ? Très bien, mais ne t'attends pas à une seule once de gentillesse de ma part. Je ne suis plus elle. » Elle se reprend. « Je ne suis pas. Je ne l'ai jamais été. J'espère que c'est bien compris. »
Le Serpent avait craché son venin une fois de plus. A croire que c'était désormais tout ce qu'elle savait faire.

Évidemment, Aylen se doutait bien qu'il n'y avait pas eu de liaison entre elle et cette fille, toutefois elle était tout de même soulagée que ça soit confirmé. Elle croisa les bras et attendit que Victoire la lâche, ce qui n'arriva pas. Elle insista malgré tout.
Aylen avait toujours apprécié les Poufsouffle, leur loyauté à toute épreuve et le travail qu'ils abattaient avaient toujours été des qualités qu'elle appréciait. Ce qui expliquait certainement son histoire avec un Poufsouffle lors de sa quatrième année. Mais en cet instant elle ne parvenait pas à trouver autant de charme à ces traits de caractère forts comme elle le faisait par le passé.
Sans doute était-ce parce que cette fois-ci c'était retourné contre elle en un sens.

Elle pinça les lèvres sans la lâcher du regard.
Que pouvait-elle bien faire ? Elle avait la sensation que cette fille ne la lâcherait pas de si tôt avec ses yeux de biche et sa tête de chien battu. Et mine de rien ses mots la touchaient sans doute plus qu'elle voulait bien l'admettre. Elle n'était pas habituée à recevoir des compliments – même s'ils n'étaient pas adressés vraiment à elle – et elle comprenait doucement à quel point elle avait pu être appréciée.
Bien sûr certaines personnes ne l'aimaient pas du tout en temps que professeur, sans parler de tous ces gens qu'elle avait enfermé en tant qu'auror.
Elle décroisa les bras et s'approcha d'elle en se penchant un peu en avant pour ne pas la perdre du regard, la dominant de toute sa hauteur. Ses yeux ne la quittaient pas une seule seconde et c'était à peine si elle clignait des yeux.

« Ecoute-moi bien, parce que je vais t'aider une dernière fois. J'apprécie ta dévotion pour celle que j'étais, mais en m'aidant... je sais comment vous êtes, les poufsouffle. Si tu venais à m'aider qu'est-ce qu'il se passerait à ton avis ? Penses-tu que tu réussirais à te détacher suffisamment pour ne pas former une quelconque sorte d'attachement ? Hm ? »
La question était bien sûr rhétorique. La réponse était évidente. Si des scientifiques parvenaient à former un lien avec leurs sujets d'expérience lors d'études où tout était fait pour éviter ça, que se passerait-il dans le cas d'un humain condamné à disparaître ? Aylen ne voulait pas imposer ça à une fille de son âge, au delà du fait de prendre mal la façon qu'elle avait de la traiter comme si elle était toujours son ancienne elle.
« Avant de vouloir aider les autres, aide-toi toi-même. Ne me prends pas pour celle que j'étais et ne te rapproche pas de moi. Je ne compte pas rester, alors tu pourras bientôt retrouver celle que tu veux tant voir et pleurer sur son épaule. En attendant, fous-moi la paix. Pour ton propre bien. »