La Grande Guerre est finie. Voldemort est vaincu. Les Mangemorts éliminés, envoyés à Azkaban, ou repentis. On se dit partout dans le monde sorcier que le monde va pouvoir respirer un peu. Que c'est l'heure de la paix. On embrasse son voisin, on enlace des inconnus.
Personne n'enlace les Malefoy.
Lucius a le regard perdu dans le vague, Narcissa ne lâche pas l'épaule de son fils, et Drago a la tête entre ses mains. Il n'y a pas de signe extérieur d'affection, tout juste un genou qui effleure une cuisse, et le contact des doigts de Narcissa qui s'enfoncent dans l'épaule de son fils, laissant sans doute des marques rouges.
Non, personne ne vient enlacer les Malefoy.
Qui aurait envie d'enlacer l'ennemi ?
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Renfermé, enfermé. Drago Malfoy a tout juste 18 ans, et il est hanté par des démons. Il n'en dort plus, n'en mange plus. Il reste là, le regard vide, les yeux perdus dans les méandres de sa mémoire. Il a perdu toute sa superbe. La marque noire, encrée sur son avant-bras, le démange et le nargue, lui rappelant jour après jour la lâcheté, et les horreurs dont a été composée sa vie.
Narcissa ne reconnait même plus son enfant, la chair de sa chair, la prunelle de ses yeux, et sa seule raison de vivre. Tout ce qu'elle a toujours fait, c'était pour le protéger. Narcissa n'était rien si ce n'est l'incarnation parfaite d'une Serpentard, animée d'une volonté et d'une détermination à vous faire froid dans l'dos. Elle n'avait pas bravé Voldemort pour que son fils dépérisse dans le manoir familiale, pendant que Lucius s'enfermait dans sa bibliothèque. Elle n'avait pas sauvé Potter pour que son fils soit tourmenté par ses cauchemars nuit après nuit.
Elle ne pouvait pas accepter ça. Quelle mère pourrait ainsi regarder son fils s'éteindre petit à petit, sans réaction ?
Pas les Malefoy.
Oh, ce fut laborieux, ne nous mentons pas. Narcissa fit venir au manoir les camarades de son fils, Blaise, Pansy, Gregory, Daphné.. Une fois, deux fois, dix fois. La plupart du temps, ils s'asseyaient en silence. Parfois, l'un d'eux ouvrait la bouche, pour évoquer un souvenir. Une mauvaise blague. Un accident en cours de botanique. Astoria, la jeune soeur de Daphné, se joignait parfois à eux. Elle restait la plupart du temps à l'écart, assise sur un fauteuil, un livre sur les genoux, des sourires venant éclairer son visage de temps à autre qui prouvaient qu'elle écoutait, sans vouloir écouter.
Et puis, elle commença à venir, sans Daphné. Drago ne se rendit compte qu'à la fin de l'été précédent la septième année de la jeune femme qu'elle avait presque élu domicile dans le manoir Malefoy, lorsque l'odeur de thé ne le tirait plus de sa chambre, et lorsque le manoir redevenait silencieux passé le premier septembre.
Le Serpentard, qui aurait préféré s'emmurer que de remettre les pieds dans ce chateau maudit à la fin de la guerre, pour refaire une septième année, se mit à rêver qu'il puisse s'y trouver à son tour, afin d'entendre le rire d'Astoria, ou de voir ses sourires en coin, lorsqu'elle savait que personne ne prêtait attention à elle.
Il le lui écrit.
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La première chose que fit Astoria après avoir prit le nom Malefoy, fut de redresser la barre à l'aide de Narcissa, et de Théodore, son beau-frère. La plupart des vieilles familles de sang-pur étaient ainsi composées : l'homme, image de la famille, tête haute et épaules carrées, portait sur lesdites épaules le poids de son nom. Mais la femme, oh la femme. La femme n'était autre que la main de fer dont l'homme était le gant de velours. Astoria n'avait pas fait exception à la règle, préparée depuis très jeune à la tâche qui lui revenait, d'être le véritable pilier de sa famille.
Et Astoria, fière amazone au sang-froid, ne faillit pas à la tâche.
S'attelant à participer à la reconstruction, réaffirmant le nom de Malefoy, tête haute et oreille sourde aux jurons et malédictions lancées sur son chemin, elle n'avait de cesse de chercher à redorer le blason des Malefoy, sortir sa famille de la boue dans laquelle elle s'était embourbée.
Drago remit le nez dehors. Propre sur lui, le teint frais, et un bras aimant passé au bras de sa femme. Posé en digne successeur d'un Lucius au temps de sa gloire.
Sur les très rares photos des Malefoy dans des postures plus décontractées, on pouvait apercevoir des sourires complices, un ventre rebondi, et une brûlure à l'avant-bras gauche.
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Lorsque Scorpius Hyperion naquit, il n'avait de titanesque que le nom. Enfant frêle, prématuré, aurait-il été né dans un hôpital moldu que son sort en aurait probablement été différent. Placé sous couveuse, et surveillé jour et nuit par des parents morts d'inquiétudes, il fut rapidement mis hors de danger, et autorisé à retourner au manoir Malefoy, où une chambre aux doux accents bleus l'attendait.
C'est probablement ces semaines passées dans l'angoisse qui firent d'Astoria une mère poule, une mère couveuse, une mère lionne. Possédée de la fougue bien trop souvent attribuée aux Gryffondors, elle surveillait toujours d'un oeil d'aigle les moindres faits et gestes de son enfant. Il suffisait que Scorpius se mette à renifler pour qu'elle s'empresse de le prendre dans ses bras, le cachant contre sa poitrine, défiant du regard quiconque tenterait de le lui prendre des bras (Drago apprit sa leçon bien vite).
Si bien sûr les premières années de sa vie ne sont qu'une vaste zone de flou, Scorpius vous jugerait que son premier souvenir est celui de la voix de sa maman, accompagnant un sentiment de sécurité, et de bien être. Le bruissement doux du tissu d'une robe, l'odeur réconfortante d'un parfum, et la chaleur d'une voix, la chaleur d'un geste tendre contre sa joue.
Dans ses nuits les plus agitées, Scorpius ne trouvait réconfort que contre sa mère, le tissu fin de ses chemises de nuit serré entre ses petits doigts boudinés d'enfant, la chaleur d'un corps contre le sien.
Ce qui ne veut bien entendu pas dire que Scorpius n'aime pas son père, bien au contraire : son père sera toujours associé à des sourires timides, à des bras puissants qui le soulevaient de terre pour le poser sur ses épaules. A des gestes hésitants, à des paroles maladroites, mais aussi à des histoires lues le soir, alors qu'il était déjà à moitié endormi.
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Scorpius avait cinq ans lorsqu'il eut sa première abominable crise d'enfant. Son père, désireux de lui apprendre à monter sur un balai, afin d'en faire un futur attrapeur pour Serpentard (l'idée que son fils soit envoyé dans une autre maison ne lui avait jamais effleuré l'esprit : Serpentard est la maison des Sang-Pur, tout le monde le sait). Il avait décidé de passer outre le veto d'Astoria, persuadée que c'était trop tôt, tout simplement morte de peur à l'idée que son chérubin tombe et se blesse.
Scorpius se souvient avec clarté de la sensation du balai entre ses jambes, de ses pieds qui battaient dans le vide à quelques centimètres du sol, du vent qui soufflait doucement, et du hurlement strident de sa mère.
Scorpius n'avait jamais vu ses parents se disputer, ne savait même pas que ses deux personnes préférées au monde -avec Mr Fluffy- pouvaient se mettre dans des états pareils. Astoria livide, puis rouge de couleur, et Drago à moitié vert.
Les cris de sa mère résonnaient encore dans ses oreilles lorsque ses propres cris se joignirent à ceux de ses parents.
Scorpius, terrifié, ne comprenant pas pourquoi.
Il pleurait encore dans son sommeil, tombé de fatigue sous le coup de l'épuisement dû à ses cris. Il n'est plus jamais remonté sur un balai de sa vie.
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Si Scorpius avait été extatique le jour où ses pouvoirs se sont officiellement déclarés, la réalisation qu'il lui faudrait quitter son foyer pour aller au chateau de Poudlard, réalisation qui vint plus tard, au cours de son neuvième anniversaire, le pétrifia totalement.
Enfant déjà totalement co-dépendant de sa mère, il refusa de se séparer d'elle même pour aller dormir, s'accrochant à sa jambe, pleurant toutes les larmes de son corps lorsqu'il était installé dans son propre lit.
Il ne lui fallait jamais longtemps pour venir se glisser dans celui de ses parents.
Ce ne fut qu'au bout de longs mois de lutte qu'ils trouvèrent finalement une solution acceptable : enrouler Scorpius dans l'un des gilets d'Astoria, et le rassurer avant d'éteindre la lumière que sa maman l'aimait toujours, et qu'elle serait là le lendemain pour lui faire son petit déjeuner.
Scorpius n'a jamais réussi à se séparer de ce gilet, et c'est la première chose qu'il a mit dans sa malle pour Poudlard. L'odeur de sa mère n'est plus présente que sous forme de trace à présent, à force de dormir avec chaque nuit, enroulé dedans, Mr Fluffy à ses côtés sur l'oreiller.