Eleni avait manqué de se rompre le cou en trébuchant sur Purrfect, son imbécile de chat. La sale bête adorait se glisser entre les jambes des gens, ronronnant pour réclamer des câlins, et se délectant de la souffrance qu'elle leur causait quand ils se faisaient mal en tentant d'éviter de l'écraser. Si Purrfect avait pu rire, il se serait moqué de sa maîtresse à gorge déployée.
"Un de ces quatre, je vais me faire des chaussons avec ta fourrure !" menaça la jeune bibliothécaire, avant de soupirer et de plier les genoux pour ramasser les livres tombés au sol. (Elle avait appris il y a longtemps qu'il valait mieux plier le genou quand on portait une jupe plutôt que de se pencher en avant).
Ses talons claquèrent doucement sur le sol feutré alors qu'elle rangeait les livres sur les étagères correspondantes, ses hanches se balançant légèrement de gauche à droite, le tissu de sa jupe venant effleurer l'arrière de ses cuisses, recouvertes d'un collant noir. Ses cheveux étaient attachés en une tresse faite à la va-vite, qui rebondissait légèrement sur son épaule, venant lui chatouiller le cou désagréablement. Sa baguette était glissée à sa ceinture, toujours à portée de main, et sa robe de sorcier faisait plus office de kimono lâche que d'uniforme -c'était l'avantage d'être passé du côté obscur ceci dit : le dressing code était bien plus libre quand on avait dépassé 17 ans.
"Bon alors… Toi, tu vas aller te ranger là…" Le livre lui grogna entre les mains, et Eleni leva les yeux au ciel. "Pas la peine d'essayer de discuter." Elle glissa le livre entre deux autres qui s'écartèrent un peu pour faire de la place. "Et toi, sur l'étagère du haut"
Elle grimpa sur les premiers barreaux de l'échelle (après avoir vu la Belle et la Bête soixante-dix-huit fois, qui aurait douté que sa première acquisition serait une échelle comme dans le dessin animé?) pour venir déposer le livre sur la plus haute étagère, lui offrant aussi par la même occasion une excellente vue sur les rangées voisines. Une trop bonne vue, sans doute.
Eleni secoua la tête, songeant à ses propres escapades avec Liv, descendant en faisant attention à ne pas accrocher sa chaussure sur l'un des barreaux, avant de se diriger vers l'allée réservée à l'astronomie.
"Je sais qu'il est tôt mesdemoiselles, et que la bibliothèque est généralement vide, mais nous sommes dans une bibliothèque, pas dans vos dortoirs, ou sous les gradins du stade de Quidditch." Oui, Eleni avait un certain … penchant pour le cinéma moldu Hollywoodien. "Allez, filez ! Allez déjeuner plutôt."
Un bruit étouffé précéda le miaulement discret de Purrfect et, pour la seconde fois de la journée, Eleni se dit qu'il vaudrait peut-être mieux enfermer la bestiole dans ses appartements en journée. Comme si avoir un chat dans une bibliothèque n'était pas déjà un cliché en soi. Elle ne pouvait même pas en vouloir -ou du moins trop en vouloir- aux élèves persuadés qu'elle était une vieille femme aigrie de plus de cinquante ans.
Avec un dernier regard en direction des jeunes filles, les sourcils haussés pour leur prouver qu'elle était sérieuse (et où avait-elle bien pu voir qu'hausser les sourcils donnait un air sérieux aux gens ?), elle se dirigea vers la source du miaulement, s'attendant certainement à trouver sa tasse de thé renversée, ou des livres éparpillés sur le sol.
Il n'y avait rien de tel que draguer dans la bibliothèque. Souvent vide aux heures des repas, ou au cours de la journée en tout cas, les dizaines de rayonnages offraient une excellente couverture quand il s'agissait de se dérober aux regards curieux de leurs camarades. Ainsi, elle avait pu embobiner cette fille et l'entraîner dans les rayons d'astronomies en lui parlant des étoiles et des galaxies, lui disant à quel point ses yeux brillaient plus que mille soleils. Elle avait douté durant une seconde que la Gryffondor d'un an de moins qu'elle comprenne réellement ce qu'elle lui disait, mais les résultats furent ensuite là, et elle eut la grande joie de pouvoir tâter du popotin cachée derrière les étagères, le tout en perdant son souffle contre ses lèvres. Même si malheureusement elle ne put tâter très longuement. Bien sûr, il fallait s'y attendre. Elle l'avait entendu, derrière leur rayon, la jolie bibliothécaire. Elle parlait toute seule à son chat et à ses livres, comme une vieille folle. Ce qui avait fait esquisser un sourire à la brune alors qu'elle embrassait sa proie. Un sourire qui avait certainement été interprété comme encourageant par la plus jeune, car elle avait alors mis plus d'entrain dans leur baiser. Un entrain qui n'aidait pas franchement Lexie face au manque d'expérience de l'adolescente. Qui se retrouva à imaginer une certaine blonde à la place de celle qu'elle embrassait pour faire passer la pilule, même s'il n'y avait rien de comparable dans leur façon d'embrasser. Mais elle ne s'était pas dit qu'elle interviendrait aussi vite. Et voilà. Elle venait de lui casser son coup. Si la fille avec qui elle était fit un bond de deux mètres en arrière, pour sa part, Lexie resta là où elle se tenait, se contentant de lever la tête vers le ciel, ne voyant malheureusement qu'un plafond qui l'intéressait peu. Il ne fallut pas longtemps aux yeux bleus pour redescendre sur la bibliothécaire, alors que ses doigts fin ramenaient ses cheveux en arrière. Tiens. Une référence moldue. Elle était vraiment chou à tenter de se montrer intimidante. Mais c'était peine perdue. Smirk.
Elle prit une moue faussement désolée, haussa les épaules en relevant les mains, puis se décida à répondre, prenant le ton de l'obéissance non sans cacher sa déception d'être ainsi interrompue. « Meh. Bien bien. Allez, viens, on y va. » La fille récupéra son sac de cours abandonné plus tôt en arrivant puis elles partirent ensemble... En abandonnant le pauvre sac bandoulière de Lexie. Qui avait bien évidemment prévu le coup. En avançant dans le rayon vers la sortie, elle se retourna vers la bibliothécaire qui s'éloignait déjà et eut un sourire peu rassurant. Peut-être put-elle l'entrapercevoir. Peut-être pas. En tout cas elle regarda à nouveau devant elle, passant un bras autour de l'épaule de la plus jeune en continuant d'avancer. Jusqu'à ce qu'elle arrive à l'entrée de la bibliothèque, se frappant alors le front comme si quelque chose venait soudainement de la frapper en plein visage. Ce qui était le cas puisque c'était ce qu'elle venait de faire. Mais peu importe. Elle se sépara de la demoiselle et la regarda, l'air désolé. « Ptain, j'suis trop con, j'ai oublié mon sac ! Pars devant, j'te retrouve dans la Grande Salle ! » Elle lui vola alors un rapide baiser avant de faire demi-tour, peu désireuse de manger avec elle pour être honnête. Hé, elle avait un groupe d'amis, ce n'était pas pour devoir passer du temps avec ses conquêtes en plus ! Et puis, de toute façon, elle n'avait pas faim. Elle n'avait jamais faim.
Elle s'enfonça à nouveau dans les rayons en revenant sur ses pas et se pressa, arrivant rapidement à sa table – l'avantage d'être grande et d'avoir de grandes jambes. Son sac était bien sûr toujours là, caché sous sa chaise, et elle se pencha pour le ramasser et le glisser sur son épaule avant de chercher où avait bien pu passer la bibliothécaire. Parce qu'elle avait bien deux mots à lui dire. Bon. Un peu plus de deux mots peut-être. Elle n'eut pas besoin d'aller loin pour la retrouver en train de ramasser les bêtises de son chat en pestant contre celui-ci. Lexie prit le temps de s'assurer que tout dans sa tenue était parfait : sa cravate détachée, son chemisier un peu ouvert qui n'était pas rentré dans sa jupe... Bien. Elle s'appuya contre l'étagère et croisa les bras de façon décontractée. « He bien, que vois-je ? Auriez-vous besoin d'aide par hasard ? » Elle n'attendit pas vraiment de réponse avant de s'approcher pour donner un coup de main. C'était bien de proposer, encore fallait-il le faire maintenant. Elle s'accroupit donc à ses côtés. « Vous savez, miss Hall, il n'est en réalité pas très pratique de faire ce genre de chose sous les gradins du terrain de quidditch. Ils ne sont pas si facile d'accès, et comme ils ne sont que sur quatre rangées, ils ne montent pas très haut, alors je dois me baisser pour ma part. » Elle eut alors un sourire et se tourna un peu vers elle, toujours accroupie. « Mais si vous voulez, je veux bien faire l'effort de vous le montrer. Des fois que ça vous intrigue vraiment. » Son sourire s'agrandit dans le coin. « Je suis certaine que je saurais vous... aider à satisfaire votre curiosité. » La finesse et la délicatesse de Lexie étaient en marche. Again.
Le sourire de la Gryffondor fut si furtif qu'Eleni se dit qu'elle l'avait très certainement imaginé, et secoua la tête avant d'aller réparer les bêtises de son chat. Purrfect se tenait bien tranquillement sur une étagère vide, la pile de livre étalée sur le sol comme la jeune femme s'y attendait. Purrfect avait la mauvaise habitude de grimper sur les étagères et de se nicher entre les bouquins, et quand il n'y avait pas de place libre, il se la faisait lui-même. Eleni eut quand même un sourire attendri en voyant le chat tigré se lécher les pattes, et le caressa entre les oreilles un court instant.
"Qu'est-ce que je vais faire de toi hein ?"
Purrfect se contenta de fermer les yeux, ne daignant même pas la gratifier d'une réponse, et Eleni le prit dans ses bras pour le déposer sur la table la plus proche, se baissant pour ramasser les livres éparpillés au sol, jetant un coup d'oeil rapide aux couvertures. Les livres de la bibliothèque n'avaient rien de divertissant, au sens propre du terme. Il n'y avait aucune œuvre de fiction, ou si peu. Peut-être pourrait-elle en parler au professeur McGonagall, et au professeur d'étude des moldus. Après tout, l'étude des moldus se faisait aussi à travers leur littérature. Et si les sorciers voulaient pouvoir se fondre dans la masse et vivre en harmonie avec eux, il valait mieux avoir une culture commune, n'est-ce pas ?
Perdue dans ses pensées, ramassant les livres méchaniquement, la voix qui résonna derrière elle la prit de cours, la stoppant un instant dans son mouvement. Elle ne lâcha pas les bouquins en poussant un cri perçant, elle n'était pas une héroïne d'harlequin. Pas qu'elle lise des Harlequins ! Eleni n'eut cependant même pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà, la Gryffondor s'accroupissait et, oh, personal space !
La jeune femme ne s'attendait cependant pas vraiment aux mots qui sortirent ensuite de la bouche de l'élève, et elle vacilla un instant sur ses talons, posant son genou au sol pour plus de stabilité, ses yeux bleus écarquillés fixés sur la jeune fille. Un rire nerveux s'échappa de ses lèvres, pensant qu'elle plaisantait. Les yeux de la Gryffondor restèrent fixés sur elle et Eleni déglutit légèrement.
"Je.. euh… je…Pardon ?"
Quoi ?
"Je… n'avais vraiment pas besoin de savoir ça."
Again.Quoi ?
Eleni se redressa d'un geste abrupte, posant les livres sur la rangée vide de la bibliothèque sans les ranger ni les trier, et reculant d'un pas. Il fallait qu'elle se souvienne qu'elle était supposée être une adulte responsable. La jeune Gryffondor était peut-être à formuler oralement ce que d'autres avaient déjà pensé tout bas, et elle ne serait probablement pas la dernière (les adolescents aujourd'hui semblaient animés d'une confiance en eux absolument bluffante. Elle se souvenait avoir vu un jour un enfant d'à peine quatorze ans demander à une jeune femme d'au moins dix ans son aînée si elle souhaitait l'aider à perdre sa virginité. What.). Eleni savait à quoi elle ressemblait, elle n'était pas aveugle. De plus, Liv n'avait jamais tari d'éloge à ce sujet.
"Et je suis bien loin d'être intriguée ou curieuse. Vous devriez sans doute rejoindre votre petite amie, elle doit se demander ce que vous faîtes encore ici."
Et c'était une excellente question, par ailleurs, ce qu'elle pouvait bien faire là. Eleni tendit les mains pour attraper les livres que la Gryffondor l'avait aidée à ramasser, un sourire poli mais un peu crispé étirant ses lèvres.
"Merci de votre aide pour les livres. Vous savez comment peuvent-être les chats !"
Elle se serait frappé à l'arrière de la tête si elle avait pu le faire sans passer pour une folle. Et elle songea que finalement, elle ne l'avait sans doute pas imaginé, ce sourire dérangeant, non pas si différent de ceux, carnassiers, de braise de la Serpentard. Avec cette impression désagréable de n'être qu'une… proie.
Espace personnel ? Non, elle ne connaît pas ça, Lexie. Et c'est bien souvent qu'elle ne se dérange pas pour rentrer dans ceux des autres sans se poser la moindre question sur le fait que ça puisse les gêner ou quoi. Evidemment, si après on lui demande de prendre ses distances, elle le fait. Elle n'est pas suffisamment stupide pour ne pas savoir quand s'arrêter. Mais elle ne peut pas non plus lire dans la tête des gens. Même si elle est très bonne pour reconnaître le langage corporel. Ca ne marche pas à tous les coups. Toutefois, en voyant les réaction de la bibliothécaire, Lexie retint un sourire. Bien, elle allait devoir prendre une approche différente. Le rentre dedans clair et net ne fonctionnait pas. Même si ça provoquait chez la blonde des réactions des plus intéressantes. De quoi amuser la Gryffondor qui n'attendait que ça. Elle haussa un sourcil en tout cas à la mention de sa petite amie. Yew. Quelle idée ! Non, surtout pas ! Elle eut un rire bref mais qui voulait tout dire, avant de se stopper net dans celui-ci et de s'éclaircir la gorge. Allons, allons, rends les livres à la dame et laisse la parler ! Elle hocha la tête aux remerciements. « Mais je vous en prie, c'est toujours un plaisir. » Et voilà qu'elle appuie bien consciencieusement sur ce dernier mot, petit sourire en coin aux lèvres. On aura rarement été si peu sérieux à dix-sept ans.
Lexie se redressa, s'étirant alors en regardant autour d'elle. « Je n'en ai jamais eu moi même, mais oui, je sais. » Ce n'était pas comme s'il y en avait partout à Poudlard. Et d'ailleurs, en parlant de chat... En voilà un qui vint se frotter contre ses jambes. Adieux chaussettes noires, bonjour poils de chat. Elle baissa les yeux vers la boule de poils avec un sourire malgré tout. Elle n'avait pas vraiment envie de se pencher à nouveau, mais elle fit l'effort – sans plier les genoux pour sa part – et le ramena un peu au dessus de son visage, où il posa ses pattes sur la bouche de l'adolescente qui laissa échapper un rire. Un rire franc comme elle en avait rarement. Elle le posa ensuite sur l'étagère au niveau de son visage et se rapprocha de lui, reprenant la parole sans se soucier de l'interruption qu'il y avait eu, ni même des avertissements concernant la bête. « Et ce n'est pas ma petite amie. » Elle approcha la paume de sa main du chat et le laissa renifler avant de le caresser doucement, puis plus vigoureusement en voyant que ça se passait bien. « Je devrais peut-être le lui signaler d'ailleurs. » Elle disait ça plus pour elle que pour Eleni, alors qu'elle avançait son nez vers celui du chat qui, curieux et visiblement en confiance, vint poser brièvement le sien contre. Petit sourire de la part de l'adolescente. « Oui, tu es le plus beau de tous les chats. » Et encore des caresses.
Elle tourna ensuite son visage vers celui de la bibliothécaire. « Et vous, belle maîtresse de cette magnifique créature, avez-vous une petite amie ? Ou un. Ou... une personne. » Comme s'il n'y avait que des filles et des garçons dans le monde. Ou qu'il fallait être l'un ou l'autre. Lexie cessa de caresser le chat qui protesta et elle lui offrit de nouvelles caresses. « Ou bien êtes-vous, contrairement à moi qui suis désormais prisonnière de ce chat apparemment, libre comme l'air, Eleni. » Oui, le prénom, direct, tac tac comme ça !
Il y avait cette sensation désagréable qui ne lâchait plus Eleni, figée sur place par le regard perçant de la jeune Gryffondor, comme face à Méduse. Comme une corne de brume qui résonnait dans le lointain pour avertir d'un danger imminent. Aka la jeune fille face à elle. La bibliothécaire ne put retenir son regard lorsque la brune s'étira, les yeux attirés par le mouvant, mes laissant descendre avec rapidité le long de son corps, de ses yeux perçants à ses chaussettes noires. Eleni se dit que la conversation allait s'arrêter là, et que la jeune Gryffondor pourrait retourner vaquer à ses… occupations, avec sa petite amie -not, mais Purrfect, ne pouvant pas tomber plus mal comme tout bon chat, décida qu'il en serait autrement, en venant se frotter aux jambes de la jeune fille. Forcément. Purrfect ne serait pas Purrfect s'il n'était pas un connard. Son miaulement discret fit savoir à Eleni, habituée, qu'il était -déjà- en manque d'attention, et qu'il n'appréciait pas que sa maîtresse ne se focalise pas sur lui.
"Non, attenton, il n'est pas très…" sociable, tenta de prévenir Eleni lorsque la jeune fille se pencha pour le soulever de terre.
Étonnement, Purrfect n'essaya pas immédiatement d'arracher le visage de la Gryffondor, ce qu'Eleni comptait comme un point de karma bonus : si dès le premier mois, elle causait la défiguration d'une élève, elle ne ferait pas long feu entre les murs de Poudlard. Il se laissa même caresser, allant même jusqu'à ronronner doucement quand la jeune fille le caressa entre les oreilles. Eleni se contenta de rester là à les observer, se balançant inconsciemment de gauche à droite sur ses talons, les bras croisés sur son ventre. Purrfect, toujours prêt à jouer la star, s'étira en miaulant, les yeux à moitié fermé. Traitor. Il pouvait aller se brosser pour ses croquettes au saumon !
Et vous ? La question lui fit l'effet d'un électrochoc, la tirant de sa torpeur d'un coup sec. Elle tourna la tête, ses yeux accrochants ceux de l'élève. Ses joues se teignirent de rouges, et la pression de ses bras contre son ventre se resserra, comme pour lui offrir une protection.
"Je… Je ne pense pas que ce soit très approprié de parler de ma.. vie sentimentale avec des élèves, mademoiselle."
Les quelques pas que la bibliothécaire pris en direction de l'élève et de Purrfect étaient hésitants, presque nerveux. La jeune femme tendit les bras, attrapant son chat, qui lui miaula dessus en protestation, avant de reculer avec plus de maîtrise.
"Et je pense qu'il est grand temps que je ramène Purrfect dans mes appartements, avant qu'il ne détruise la bibliothèque."
Eleni recula d'un pas supplémentaire, quand le fait que la Gryffondor l'avait appelé par son prénom la frappa soudainement.
"Et c'est Mademoiselle Hall."
Son ton était peut-être un peu trop sec, mais pour sa défense… Il y avait longtemps que quelqu'un n'avait pas exprimé son intérêt de manière si… virulente. A l'exception peut-être des quelques jeunes hommes mal informés -ou vivant dans leur petit monde hétéronormatif- qui avaient pu se montrer brute de décoffrage. Mais c'était des hommes. On s'attendait à ça. Venant d'une jeune fille ? Pas vraiment. Eleni n'était pas nerveuse si souvent que ça. Elle avait l'habitude d'éviter les situations de conflits depuis sa dernière grosse crise de panique, à Berlin, et les situations qu'elle ne se sentait pas maîtriser. Un peu comme celle là.
La rougeur de ses joues était à croquer, mais Lexie s'abstint de tout commentaire, se contentant d'apprécier l'effet qu'elle faisait à la pauvre femme. Elle n'était clairement pas dans son éléments, et ça amusait grandement l'adolescente. Mais en même temps, c'était peut-être trop facile. La réponse apporta certainement autant que si elle avait répondu en tout cas. En général, quand une femme n'appréciait pas les avances qu'on lui faisait, et qu'on lui demandait si elle était avec quelqu'un, celle-ci n'hésitait pas à répondre qu'elle avait bien quelqu'un. Qu'il s'agisse de la vérité ou d'un mensonge. C'était la solution la plus simple pour rejeter quelqu'un. Aussi ici le réponse pouvait vouloir dire deux choses : soit elle appréciait les avances de Lexie mais n'osait pas le dire, du fait de son statut de bibliothécaire, soit elle était d'une franchise et d'une naïveté affligeante. Considérant son langage corporel, il était difficile d'avoir une réponse nette, mais en prenant en compte ses paroles, on pouvait facilement pencher vers la seconde solution. Ce qui conforta Lexie dans son changement de méthode. Y aller de front ne la mènerait nul part. Elle devrait se montrer plus subtile. Même si connaissant la bête, c'était loin d'être gagné. Mais en même temps, ça serait un défi des plus intéressants. Et ça la changerait un peu de modifier son approche. La variété c'était la vie.
L'attitude nerveuse de la bibliothécaires rendait l'exercice difficile, et elle faillit craquer lorsqu'elle parla de retourner à ses appartements. Il fut ainsi particulièrement ardu de résister à la perche énorme qui venait de lui être lancé par inadvertance et de répliquer par une proposition qui – elle en était certaine – provoquerait une réaction des plus amusantes chez la blonde, mais la mettrait probablement mal à l'aise. Sachant qu'elle devait d'abord gagner sa confiance, ce n'était pas une bonne idée. Mais même comme ça, elle ne pu retenir le sourire qui voulait tout dire, se mordant alors la lèvre pour le ravaler au plus vite. Malheureusement, le rappel à l'ordre brisa cet effort et elle eut même un petit rire pour l'occasion. « Ou sinon, vous m'appelez Lexie et je vous appelle Eleni. C'est un échange de bon procédé non ? » L'effronté, bien que tentée par une avancée moins destructrice, n'en restait pas moins ce qu'elle était, et se permettait cet écart. Aurait-elle parlé français, sans doute aurait-elle même proposé de la tutoyer, malheureusement ce n'était pas le cas. Sans doute l'inflexion dans ses paroles changerait par la suite toutefois pour donner cet effet. En attendant, elle avait une perche à saisir. A sa façon.
« Purrfect est un joli nom ceci dit, vous avez bon goût. » Elle adressa un petit sourire à la femme. « C'est vraiment dommage que vous ne le laissiez pas gambader tranquillement dans la bibliothèque vous savez ? » Le terrain était préparé désormais. « Vous voulez peut-être que je le ramène pour que vous n'abandonniez pas votre poste ? » Une bien mauvaise idée considérant la manière qu'avait de se comporter Lexie lorsqu'elle se retrouvait seule dans les appartements de quelqu'un sur qui elle désirait exercer un pouvoir. Il suffisait de voir ce que ça avait donné avec une certaine concierge. Mais elle n'en avait pas fini. « Ou bien je peux vous raccompagner, il a l'air de plus vouloir être avec moi qu'avec vous pour le moment, vu ses protestations. » Voyez comme elle se montrait sympathique, avec son ton plus doux et bien moins arrogant que précédemment. C'était comme si elle laissait tomber ses barrières de garce pour... « Pour me faire pardonner de ce que vous avez surpris plus tôt. Et mon comportement général d'après. » Elle lâcha un petit rire entendu. « Surtout mon indiscrétion. » Elle en profita pour tendre la main vers le chat, souriant à nouveau à sa propriétaire avant de se concentrer sur la bête un instant, pour enfin revenir vers elle en attendant une réponse. Ses lèvres s'étiraient de façon bien innocente. Et pour quelqu'un qui ne connaissait pas Lexie, ça pouvait faire vrai. Restait à espérer que sa réputation n'était pas encore parvenue aux oreilles de la bibliothécaire.
Lexie. Au moins, ça avait permis de mettre un nom sur le visage. Pas qu'Eleni l'utiliserait, ceci dit. Elle s'était promis d'être professionnelle, et moins laxiste cette année qu'elle ne le serait sans doute dans les années futures, parce qu'après tout c'était sa première année, et qu'elle était encore très proche en âge des élèves arpentant les couloirs de Poudlard. Quand les gens cesseraient de la confondre avec des élèves (si, c'était arrivé. L'un des professeurs, lors d'un des premiers soirs de l'année, l'avait stoppé quand elle s'était dirigée vers la grande table des professeurs et du personnel, lui demandant où était le reste de son uniforme, et ce qu'elle faisait de ce côté de la salle. Les joues d'Eleni avaient viré au pourpre, mais heureusement le professeur de divination avait volé à son secours avant que qui ce soit ne l'ait remarqué. Eleni avait trouvé la situation mortifiante, et ridicule. L'infirmière avait deux ans de moins qu'elle, et personne ne la confondait avec les élèves, elle !)
"Je préfère Mademoiselle Hall, Mademoiselle… ?"
Eleni n'avait pas eu l'intention de transformer son affirmation en question, mais sa curiosité eu raison d'elle. Ça, et le fait que c'était poli, d'appeler les gens par leurs noms. De famille. Pas leurs prénoms. Hors de question. Non, et non. Quand Lexie aurait quitté Poudlard, peut-être. Ceci dit, pourquoi seraient elles encore en contact après que Lexie ait quitté Poudlard ? Pourquoi seraient-elles en contact tout cours ? Lexie sortirait très certainement de cette salle en oubliant tout de la bibliothécaire, et Eleni oublierait certainement tout de cette rencontre dans la semaine à venir, quand elle se serait remise du malaise qui l'avait saisi plus tôt, sous les avances de la jeune Gryffondor. Tout ceci était ridicule, de toute façon.
Eleni ne put retenir un sourire à la mention de Purrfect (que voulez-vous. elle n'aurait jamais d'enfant, et elle avait un coeur trop gros pour sa cage thoracique, de l'amour elle avait à en revendre, il fallait bien que quelqu'un en profite). Ça avait été une idée de Vlad -Liv et elle avaient trouvé le chat en se baladant dans les ruelles du village près du château de Bran-, et Eleni songea s'en vanter un instant, avant de secouer mentalement la tête pour s'en décourager : les sorciers ne trouvaient pas ce genre d'histoire aussi passionnants que les moldus : si elle avait raconté un moldu qu'elle avait rencontré LE comte des Carpates, elle aurait suscité l'attention inconditionnée de son public -puis plus tard des hommes en blancs-, mais les vampires n'étaient pas une nouveauté pour les sorciers. Enfin.
Eleni était consciente qu'il était peu probable que Lexie soit passée d'une prédatrice à une élève pleine de bonne volonté en l'espace d'un instant. Cependant.. Elle avait caressé Purrfect. Et le chat s'était laissé faire, cuddle slut. Peut-être qu'elle était sincère dans sa question. Peut-être qu'elle adorait les animaux. Ça détendit légèrement la bibliothécaire. Pas suffisamment pour qu'elle raye la conversation précédente de sa mémoire, et donne à la jeune fille les clefs de ses appartements, ou plutôt le mot de passe qui permettait d'y accéder. Elle n'avait cependant pas tort. Purrfect s'était débattu, menaçant de lui griffer l'avant-bras, avant de sauter de ses bras et de revenir se frotter contre les jambes de la Gryffondor. Si elle essayait de l'amener de force jusqu'à ses appartements, le chat lui entaillerait les bras, ou s'enfuirait dans le château. S'il n'avait pas encore eu l'occasion de faire ça à Poudlard, il avait une fois fallu trois jours pour retrouver la boule de poil à Sheffield. Alors, dans ce château…
Eleni hésita un long moment, ceci dit. Le doute pouvait se lire facilement sur son visage, partagée. Elle ne laisserait certainement pas la jeune fille dans ses appartements par elle-même, mais… elle gagnerait certainement du temps (et s'épargnerait le sang, les larmes et les cris) si elle l'accompagnait.
"Je… D'accord. Ce sera certainement plus rapide comme ça."
Alors qu'elle faisait demi-tour, elle se demanda si elle ne venait pas de faire une bêtise stupide. Mais Lexie avait eu l'air sincère, l'espace d'un instant. Et Eleni croyait fortement aux secondes impressions. Après tout, il avait fallu plusieurs mois avant que ses camarades de chambre ne passent outre les étranges rituels de coucher de chacune, et deviennent proches. Aujourd'hui encore, elles s'écrivaient une fois par semaine. Secondes impressions, secondes chances, tout ça.
Eleni laissa Lexie prendre Purrfect dans ses bras, attrapant le lourd trousseau des clefs de la bibliothèque sur le bureau, et fit signe à la jeune fille de la suivre. Elle referma la porte derrière elles, avant de se diriger vers les fameux escaliers (qui sont un peu comme la bicyclette: impossibles à oublier, une fois passée la première fois) pour rejoindre le sixième étage.
Cette fille était comme un livre ouvert. Tout se voyait sur son visage, et franchement, Lexie n'aurait pas rêvé mieux. C'est ainsi qu'elle remarqua le doute sur ses traits alors qu'elle réfléchissait à la proposition qu'elle venait de recevoir. Allait-elle marcher ou se montrerait-elle trop méfiante après les coups d'éclat de l'adolescente ? Hm. Elle accepta finalement la proposition qui donnait le moins d'accès à Lexie, sans même songer un instant qu'elle pouvait simplement refuser la proposition. Bon, il fallait bien avouer que la rouge et or marquait un point en disant que sa présence aiderait sans doute pour ramener le chat là-haut. Ceci dit, elle aurait tout à fait pu faire usage de la magie ou simplement le prendre par la peau du cou. La plupart des bêtes se laissaient faire dans ce genre de cas. Quoique lui était peut-être un peu grand pour ça dans le cas présent. Ceci dit, ça aidait les plans de Lexie qu'elle accepte.
Elle lui offrit d'ailleurs un sourire radieux. « Vraiment ? Génial ! » On aurait presque pu dire une enfant trop heureuse qu'on la laisse approcher d'un animal inconnu. Et peut-être était-ce un peu le cas quelque part. En plus d'être douée avec les animaux, elle aimait bien ceux-ci.
Elle prit le temps de rajuster son sac et sa cape de sorcière pour ne pas avoir de problème en montant. Elle attrapa ensuite le petit monstre dans ses bras avec douceur et grattouilla celui-ci alors qu'il tentait désormais de jouer avec les mèches de cheveux noirs qui entouraient le charmant visage de Lexie. Celle-ci ne s'en formalisa pas, laissant l'animal jouer tant qu'il le pouvait et qu'il ne tirait pas trop. Elle n'était pas vraiment très sensible du cuir chevelu, mais ce n'était pas non plus agréable de se faire tirer dessus par une boule de poils pleine de muscle – et de gras parfois. Ceci dit, elle se mit en marche à la suite de la bibliothécaire. Elle se mit d'ailleurs assez rapidement à son niveau, une main papouillant le chat avec plus ou moins de succès. « Alors... » Elle eut une seconde d'hésitation sur la façon dont elle devrait relancer le sujet. Elle se voyait mal revenir maintenant sur cette histoire de célibat ou non.
Oh. Quoique.
« Mademoiselle Hall... Ca veut dire que vous n'êtes pas mariée je présume. Fiancée peut-être ? » Elle baissa les yeux sur les mains de la femme. Elle se pencha en avant, faisant mine qu'elle n'avait pas vu au préalable. « Non, pas de bague, commenta-t-elle comme si elle réfléchissait à voix haute. « Vous avez quel âge ? Vingt-six ans ? Vingt-cinq ? Vous n'avez pas encore trouvé chaussure à votre pied donc ? Passé trop de temps entre les rayons d'une bibliothèque ou... ? Vous faisiez quoi avant en fait ? » Oui, Lexie la noyait sous les questions dans l'espoir qu'elle obtienne des réponses, ou au moins des indices. Et puis aussi pour voir un peu ce que ça donnait quand elle mettait la pauvre bibliothécaire sous la pression. Elle se retint de poser de questions pour ne pas obtenir l'effet inverse de ce qu'elle voulait, à savoir n'obtenir aucune réponse. « Désolée si je suis un peu trop curieuse, mais comme la précédente bibliothécaire était une vieille bique sans le moindre humour... Enfin, vous l'avez sûrement connue. Mais vous auriez dû voir sa tête quand avec les gars on a changé tous les livres de place une nuit... C'était hilarant. » L'intérêt de raconter ça à la nouvelle bibliothécaire ? Lui signaler clairement qu'il valait mieux avoir Lexie de son côté. Ca lui épargnerait des heures de travail.
Les appartements d'Eleni se situaient au sixième étage, tandis que la bibliothèque était localisée au quatrième, et la jeune femme se dirigea donc vers les escaliers mouvants pour rejoindre le bon étage, les clefs pesant lourdement dans sa poche, Lexie et Purrfect sur ses talons. Le claquement des chaussures de la bibliothécaire résonnaient dans les couloirs vides -les élèves étaient attablés à l'heure qu'il était. Lexie se tenait proche d'Eleni, peut-être un peu trop proche, son coude venant effleurer le bras de la jeune femme lorsqu'elles tournaient dans le couloir. Eleni était presque persuadée être tirée d'affaire, lorsque la voix de la jeune Gryffondor s'éleva, signifiant la fin de la trêve (car, soyons honnêtes ici, c'était bien ce que cela avait été). Eleni sentit le regard de Lexie venir se poser sur elle, scrutant les moindres détails et, quand bien même s'agissait-il simplement de ses mains, Eleni dû combattre l'envie de venir les enfouir dans ses poches pour les cacher du regard inquisiteur de l'élève.
Même si Eleni avait tenté d'ouvrir la bouche pour répondre aux questions de l'adolescente, le flot incessant la prit de court, ses lèvres entrouvertes bêtement comme un poisson hors de l'eau, cherchant à formuler des mots mais sans le son. Lexie lui donnerait presque le tournis -ou peut-être était-ce les escaliers qui bougeaient ? La jeune femme passa une main hésitante dans ses cheveux, ses pieds se posant enfin sur la pierre du sixième étage.
"J'ai vingt-trois ans. Et ma vie sentimentale ne vous regarde toujours pas, Mademoiselle."
On ne pourrait jamais accuser la jeune fille de manquer de cran. Ou d'audace. Elle manquait cruellement de tact, ceci dit, et de bon sens également. De retenue, ça c'était certain. Qui plus est, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, à Lexie, qu'Eleni soit fiancée ou célibataire ? Qu'elle ait trouvé le grand amour ou pas.
"J'ai passé un master de documentation à l'université de Sheffield", ajouta-t-elle finalement, espérant que cela calmerait la curiosité de la Gryffondor. Ou, plus probablement, détournerait l'objet de son questionnement. "C'est une université moldue", précisa-t-elle également, au cas où.
Les sorciers avaient tendance à ne se focaliser que sur eux-mêmes. Il était absolument aberrant de constater que certains d'entre eux ne savent pas ce qu'était un portable, alors qu'une grande partie vivaient parmi les moldus. Ce n'était pas trois heures de cours par semaine qui les aiderait à s'intégrer dans la société qui existait en dehors de Poudlard. Eleni avait déjà du mal à vivre sans son ordinateur et son téléphone portable. Les hiboux c'était pratique, mais les sms ça allait quand même plus vite. Qui plus est, elle ne pouvait pas envoyer de hibou à ses amis moldus pour prendre de leurs nouvelles.
"Et, ne vous inquiétez pas. On n'est jamais trop curieux." Eleni sourit doucement à ça, ses souvenirs la ramenant l'espace d'un instant à son tour du monde sorcier. "Après tout… Curiosity killed the cat, but satisfaction brought it back."
Elle avait souvent entendu les moldus prononcer cette phrase là, souvent en ne gardant que la première partie pour tenter de dissuader leurs enfants de chercher plus loin, de s'intéresser à plus.
Eleni ne releva pas la remarque sur la farce jouée à la précédente bibliothécaire. Elle ne trouvait pas ça particulièrement amusant -on se demande pourquoi ! Et il semblait évident que Lexie tentait de la tester. C'était attendu, presque cliché, quelque part. Lorsque les élèves commencent l'année avec une nouvelle maîtresse, ils poussent toujours le bouchon un peu plus loin, vont toujours un peu trop loin, testant les limites de leur institutrice, pour adapter leur comportement en fonction de la situation. C'était stupidement humain. Bien évidemment, Lexie n'était pas une exception à la règle.
La porte des appartements d'Eleni se dessina enfin devant elles, et la jeune femme s'arrêta devant le bois sombre, signalant par la même occasion à la Gryffondor qu'elles étaient arrivées à destination.
Oubliant de réfléchir, acte pour lequel elle s'en voudrait beaucoup par la suite, Eleni sortit sa baguette de sa poche, avec un "Pourriez-vous vous tourner, s'il vous plaît?", et agita sa baguette, formant un motif précis contre le bois, déverrouillant la porte, qui s'ouvrit silencieusement, sans grincer, sans couiner. Eleni pénétra dans le salon, jetant un coup d'oeil aux alentours pour vérifier que rien ne traînait. Sa bibliothèque grimpait jusqu'au plafond sur l'un des sept murs du salon (la pièce était légèrement arrondie, avec trois larges fenêtres vers le fond, et un de ces bancs de rangement sur lesquels on pouvait poser des oreillers pour s'y asseoir positionné juste en dessous. La cheminée était éteinte, une pile de courrier était posé sur la table basse, et des photos -moldues et sorcières- étaient accrochées et posées un peu partout, donnant à la pièce un air gai et accueillant. Une carte du monde était accroche sur l'un des mondes, des punaises plantées sur les pays visités par la jeune femme. C'était chaleureux. Ça avait un air de salle commune de Poufsouffle.
Vingt-trois ans. Vingt. Trois. Ans. Il fallut quelques secondes à Lexie pour faire le calcul, mais une fois celui-ci effectué, elle pinça les lèvres. Ca voulait dire qu'elles avaient partagé au moins une année. Et donc que ses suppositions étaient bonnes. Voilà qui changeait la donne. Tout comme le fait qu'elle ait étudié chez les moldus. Lexie ne pu retenir un « Merci, je sais... » lorsque Eleni cru bon d'ajouter qu'il s'agissait d'une université moldue. Bien sûr, elle ne pouvait pas savoir que Lexie venait d'un milieu moldu, mais supposer qu'elle ne savait pas en se basant sur elle ne savait trop quoi n'était pas une raison. Ceci dit, si elle n'avait rien précisé, sans doute Lexie aurait-elle appuyé sur ce point plus tard d'une autre façon. Dans tous les cas, elle était perdante, même si pour l'occasion la réaction de l'adolescente était plus spontanée.
Le chat commençait à s'impatienter lorsque – enfin – elles arrivèrent devant l'appartement de la bibliothécaire. Celle-ci lui demanda de se retourner, et cette fois Lexie retint toute remarque face à tant de méfiance, se contentant de lever les yeux au ciel. Elle se retourna toutefois sagement en poussant un soupir, caressant Purrfect pour survivre à ces cinq bonnes secondes d'ennui. La porte s'ouvrit derrière elle, et elle se retourna alors que s'offrait à elle l'intimité de la femme. Bon, ce n'était que son salon, mais c'était déjà beaucoup considérant leurs statuts respectifs. Elle rentra tranquillement dans la pièce, admira la décoration autour d'elle, puis laissa le chat lui échapper, celui-ci semblant malgré tout heureux de retrouver son royaume. Pour sa part, Lexie allait pouvoir l'explorer. C'est ainsi que sans la moindre gêne, la jeune femme commença à s'approcher des murs où les photos étaient accrochées, observant des versions plus jeunes d'une Eleni qui n'avait pas tant changé que ça au final. Mais inutile de lui dire pour le moment. Elle voulait d'abord qu'elle se forge une opinion d'elle sans ce biais.
« Sympa les photos. Vous avez l'air de bien vous amuser dessus ! » Elle passa les bras dans son dos et lia ses mains tranquillement, comme si elle s'était trouvé dans un musée. Puis elle se tourna vers elle, et avec un sourire amusé, elle se mordit la lèvre. L'éclat malicieux au fond de son regard en disait long sur ce qu'il risquait de se passer dans la seconde à venir. « Je veux bien un thé, ceci dit. Porter cette mignonne petite bête m'a un peu déshydraté je crois. » Oui, elle s'invitait tranquillement chez Eleni. Elle alla même jusqu'à s'installer sur l'un des fauteuils, les jambes passant par dessus l'accoudoir alors qu'elle s'installait comme si elle avait été chez elle. Elle fit un sourire innocent à la blonde. « J'aime bien aussi le chocolat chaud. Mais je préfère éviter le café. Je ne sais pas pourquoi mais ma tante refuse que j'en boive. » L'ironie était palpable. Elle savait parfaitement pourquoi sa tante lui refusait le breuvage, et c'était certainement évident pour toute personne ayant côtoyé plus de cinq minutes Lexie. Elle fit ensuite une petite moue. « Enfin, après c'est vous qui voyez. Je voudrais pas... m'imposer. Vous comprenez. » Ce n'était pas son genre du tout voyons. Et ce n'était pas comme si elle avait une idée derrière la tête en demandant quelque chose à boire. Absolument pas.
Purrfect venait de filer en direction de la chambre à coucher -Eleni avait eu beau tout essayer pour l'en déloger, le chat avait élu domicile sur son lit, se couchant sur le plaid qui le recouvrait, et s'endormant comme une masse à chaque fois- et la bibliothécaire se retourna pour voir la Gryffondor regardant les photos accrochées et posées un peu partout, se rendant compte qu'elle avait mal prévu son coup. Mais, la porte était refermée, et Lexie était déjà dans ses appartements. Quelle belle manière de commencer l'année Eleni, non vraiment, félicitations.
Les photos n'avaient rien d'incriminant, ceci dit, et c'était bien mieux ainsi. Un mélange de clichés moldus, visages figés sur le papier glacé dans des poses ridicules, bouches en cul de poule et signes peace à tout va, et sorcières, d'Eleni et de ses parents quand elle était enfant, sur les plages grecques où l'on pouvait parfois trouver une version enfantine d'Eleni discutant avec une sirène. Il y avait aussi des photos d'Eleni et de ses amies de Poufsouffle, les joues rosies par le froid, buvant de la Bierreaubeurre aux Trois Balais, leurs écharpes de Poufsouffle enroulées autour de leur cou. Si Lexie avait encore eu des doutes sur l'ancienne maison de la bibliothécaire, ce n'était plus le cas. Eleni laissa ses yeux glisser le long des photos elle-même (puisqu'elle ne pouvait pas empêcher Lexie de les observer, de toute manière), se retrouvant à 18 ans, riant aux éclats en Inde, couverte de pigments de couleur rouge, orange et vert, Liv à ses côtés, une main glissée autour de sa taille. Liv apparaissait sur d'autres photo ici et là, l'une près du Grand Canyon où elle faisait mine de pousser Eleni par dessus bord, une autre en Argentine à danser un tango amateur et un peu maladroit, et une dernière prise à la tombée de la nuit au Tibet, assise sur un rocher, dos au photographe, la tête d'Eleni lovée contre l'épaule de Liv. La photo préférée de la jeune femme cependant était celle qu'elle avait prise avec Vlad en Transylvanie. Eleni y apparaissait seule, riant bêtement en observant le vide à ses côtés. Ah, les vampires. Quand ils ne brillaient pas au soleil, ils étaient géniaux !
"Merci. Et, oui… Ce sont de très bons souvenirs."
Eleni se sentit sourire, un peu bêtement peut-être, à regarder les photos. Parfois, elle oubliait à quel point elle pouvait être heureuse par moment. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle avait accroché autant de souvenirs sur les murs. Pas seulement pour égayer la pièce (bien qu'il y ait aussi de ça, elle ne pouvait pas vivre dans un lieu vide et froid), mais aussi pour se souvenir. Ça avait un effet instantané. Elle se sentait mieux, plus calme et reposée, comme si elle n'avait pas besoin de prendre ses médicaments. Presque euphorique. Un peu comme si on avait allumé une lumière à l'intérieur, qui pétillait à travers ces yeux.
Lorsque Lexie lui demanda si elle pouvait avoir du thé, le visage d'Eleni se fendit d'un sourire franc et, sans prendre ne serais-ce que quelques secondes pour réfléchir au fait que ce n'était peut-être pas une excellente idée, acquiesça sur le champ.
"Oui bien sûr! "
Lexie était déjà installée, de toute façon. Pas qu'Eleni n'y prêta attention. Elle agita sa baguette en un geste élégant du poignet, faisant bouillir l'eau dans la théière qui se trouvait sur le plateau sur la table basse. Le couvercle de la boîte en bois sombre se souleva, offrant au regard de la jeune fille un nombre de petites boîtes rangées par pays, contenant des thés collectés par la jeune femme durant son voyage.
"Servez-vous, je vous en prie."
Elle ôta sa correspondance de la table, plus par politesse que par peur de voir Lexie y fourrer son nez, les déposant sur le buffet au dessus duquel était accroché une grande carte du monde transpercée de punaises ci et là, indiquant les endroits explorés par la bibliothécaire.
"J'ai du thé plus… traditionnel si vous préférez… Enfin, j'en ai certainement, quelque part…" dit-elle en s'accroupissant, fouillant à l'intérieur du buffet afin de voir s'il ne lui restait pas de l'Earl Grey ou de l'English Breakfast.
Bien évidemment, le buffet ne contenait pas la moindre trace d'Earl Grey. Eleni se redressa en refermant le meuble, se tournant vers Lexie avec un sourire coupable.
"Je reviens tout de suite, je vais voir si je n'en ai pas dans ma chambre."
Elle traversa le salon pour pousser la lourde porte en bois qui séparait la pièce principale de sa chambre à coucher, refermant la porte derrière elle -préservant ainsi son intimité (quelle blague !)- et se dirigeant vers la commode pour regarder à l'intérieur. Il y en avait forcément quelque part. C'était de l'Earl Grey, après tout.
Les clichés étaient – pour la plupart – très beaux. Lexie se demanda brièvement qui avait bien pu les prendre, ou si elles avaient utilisé le minuteur de l'appareil. Ou bien peut-être s'agissait-il d'autre chose, comme un appareil magique qui détecte les beaux moments. Dans tous les cas, Lexie ne pu retenir un sourire en coin en voyant les images – animées ou non – sous ses yeux. Elle était également contente de voir qu'Eleni était restée au moins un temps avec sa Serpentard. Mais ça... Elle devinait plus ou moins la rupture en observant les photos récentes prises dans des cadres plus moldus. La fille avait tout bonnement disparu de sa vie. Lexie se demanda brièvement si c'était comme ça aussi chaque fois qu'elle retournait à Poudlard pour sa famille restée derrière. Si elle n'était plus qu'une photo accroché à un mur. Un souvenir. Et dans ce cas, existait-elle encore pour eux ? Etait-elle plus réelle qu'une pensée ? Elle était de ceux qui parfois se demandaient si la vie n'était pas qu'un rêve duquel elle se réveillerait un jour pour se rendre compte que toute sa vie n'était qu'un mensonge, et qu'elle n'existait pas vraiment. Parfois elle espérait que c'était le cas. Parce que ça voudrait dire que les souffrances qu'elle avait vécu n'étaient pas réelles. Mais pour le moment, le sujet n'était pas là !
Le thé. Le fauteuil. « Je ne suis pas vraiment une experte en thé, du coup je pense que quelque chose de plus classique m'irait mieux ? » La question n'en était pas vraiment une, mais elle voulait faire comme si elle laissait le choix à Eleni. Ancienne Poufsouffle, et considérant son caractère compliant jusqu'ici, il y avait peu de chance qu'elle lui refuse cette faveur. Lexie espérait juste que ça lui libérerait le salon. Et ce fut le cas. A peine la porte de la chambre fut-elle fermé que Lexie bondit souplement sur ses pieds et s'approcha des photos. Pas celles du mur. Trop rapidement repérée. Pas une qui bouge, l'absence du mouvement se remarquerait plus rapidement. Pas vers là où l'eau chauffait... La bibliothèque. Elle s'y dirigea d'un pas rapide, et se saisit du cadre de celle qui attira le plus son regard. Elle défit le cadre d'un coup de baguette, puis se saisit de la photo d'un mouvement souple avant de refermer le cadre et de la reposer là où il se trouvait précédemment. Et le tour était joué.
Lorsque la bibliothécaire apparue de nouveau, Lexie avait déjà sauté dans le fauteuil là où elle se trouvait avant et caché la photo dans son sac de cours. Elle fit un sourire à Eleni, le cœur encore battant d'adrénaline. « Alors, vous avez trouvé ? Au pire c'est pas grave, je vous ferais confiance et je prendrais ce que vous me conseillé. » Confiance. Comme si Lexie faisait confiance à qui que ce soit. Elle reprit ensuite une posture normal, tentant d'ignorer quelque part au fond d'elle la sympathie dont faisait preuve Eleni. « Du coup je me demandais en regardant les photos... Vous en avez plein avec cette fille qui semble être votre copine. C'est une sorcière aussi ? Ou bien une moldue avec qui vous êtes allée à l'université ? » Oui, elle faisait l'idiote exprès. Comme souvent. Mais l'idiote quand même.
Eleni réapparut dans le salon après un moment à chercher à travers sa chambre, sans succès malheureusement, pour ses boîtes de thé plus classiques. Sans doute faudrait-il qu'elle s'en procure à nouveau. Elle enverrait un hibou à sa mère dans l'après-midi. Si sa mère était encore au Ministère, elle pourrait passer à la petite boutique qu'Eleni adorait à Londres, près de Buckingham Palace.
Elenie s'était à peine assise sur le fauteuil faisant face à Lexie, que la question de la Gryffondor fusa, la prenant de cours. Sa mâchoire tomba, juste assez pour qu'Eleni entrouvre les lèvres, et ses yeux s'écarquillèrent. Elle fixa Lexie avec un air surpris pendant une longue seconde, avant de ferme les yeux en laissant échapper un petit souffle amusé, ses lèvres s'étirant en un sourire résigné.
"Une sorcière. Et nous ne sommes plus ensemble depuis plusieurs années."
Eleni conserva ses yeux fixés sur Lexie pendant quelques courtes secondes, comme pour signifier que ce serait la fin de cette discussion, puis attrapa la boîte à thé.
"Je suis désolée, je n'ai plus de thé classique… Mais ce sera l'occasion de vous initier à quelque chose de différent !"
Eleni laissa ses doigts effleurer doucement les différents récipients, réfléchissant un instant. Elle avait des thés rouges qui venait de Chine et d'Afrique, des thés aux épices achetés sur le Crawford Market. Des thés de Mongolie, du Tibet, de Russie, et du Japon. Tiens, le Japon. Elle sortit le Natsume de la boîte en bois, le posant délicatement sur la table basse.
"Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de vous rendre au Japon," commença Eleni en ouvrant le tiroir de la table basse pour en sortir deux Chawan, des bols en céramique, d'un profond noir laqué, qu'elle déposa délicatement sur la table, ainsi qu'un Chasen à 100 branches, un petit tamis, et un Chashaku en bambou qui lui avait été offert par l'homme qui avait réalisée la cérémonie devant elle. "Mais vous avez sans doute déjà entendu parler de la Cérémonie du thé."
Eleni dévissa le Natsume. Le matcha était d'une incroyable couleur verte. Les feuilles tencha, moulues et non écrasées, créaient une poudre d'une couleur vive absolument magnifique.
"C'est…" Eleni s'arrête un instant, réfléchissant aux bons mots pour décrire cette sensation que l'on ressentait lorsque l'on assistait à pareil évènement. "Serein. Comme si l'on se débarrassait de tout, jusqu'à sa propre identité, à l'entrée, et que l'on n'était plus qu'un corps et qu'une âme agenouillé."
Eleni se saisit de la théière, versant de l'eau dans le Chawan face à elle. "Bien sûr, ceci n'est rien d'autre qu'une grotesque imitation… La simple préparation du matcha." Elle transvasa l'eau dans la théière à nouveau, n'ayant souhaité que réchauffer le bol. "Mais puisque je vous avais promis une initiation.."
Eleni déposa deux mesures de matcha à l'aide du Chashaku dans le tamis, au dessus du bol, tamisant la poudre de thé avec concentration. Si elle se concentrait assez, elle pouvait presque sentir le tatami sous ses genoux, le poids de son corps se reposant sur ses jambes repliées sous elle-même, et la souplesse et délicatesse du kimono drapé autour de son corps. Quelques gouttes à peine d'eau froide s'ajoutèrent au thé dans le bol, qu'elle mélangea à l'aide du Chasen jusqu'à obtenir une pâte d'un vert foncé, semblable aux feuilles des arbres en plein été dans les forêts du Japon. Elle souleva la théière, venant verser l'eau chaude dans le bol, se saisissant à nouveau du Chasen pour venir mélanger le thé. Son mouvement était rapide, mais calme. Elle traçait des 'huit' dans le bol, sans même frôler les bords ou le fond du Chawan. Le thé reprit avec grande rapidité sa couleur vert clair, une mousse légère venant se former à la surface. Elle souleva légèrement le Chasen, sans venir rompre la danse des huit, jusqu'à ce que l'ustensile touche à peine la surface de l'eau, l'effleurant plus qu'autre chose. La fine mousse était parsemée de bulles d'air, et Eleni vint reposer le Chasen sur la table basse, relevant les yeux pour voir croiser le regard de Lexie, un sourire satisfait dessiné sur ses lèvres. Elle prit le bol entre ses mains, et le posa devant Lexie.
"Ce n'est pas pareil qu'une vraie mais… Oh, je crois d'ailleurs que…"
Eleni se tourna vers la bibliothèque, cherchant du regard la photo prise avec le professeur, en tenue traditionnelle, la salle de la cérémonie en arrière plan.
Oh. Elles avaient donc rompues. Bon, évidemment, Lexie l'avait deviné, mais quelque part elle avait eu le petit espoir que ça soit simplement deux vies qui ne pouvaient pas se concilier, et qu'avec les voyages qui ne se faisaient plus... D'un autre côté, elle n'était pas vraiment étonnée : les couples qui duraient étaient rare, et l'amour une chose bien trop obsolète pour conduire à quoi que ce soit de réellement durable. Qu'une union dure dix jours, deux ans ou cinquante ans, au final, on était tous seuls dans la mort. Alors... se bercer d'illusion sur l'amour, ça ne servait à rien. Dans tous les cas, elle lâcha un petit sourire qui voulait tout dire lorsqu'elle parla de l'initier à quelque chose de différent. « Pas sûre qu'il reste grand chose à initier mais vous pouvez essayer. » Toutefois, malgré ce commentaire dont le ton ne laissait aucun doute sur le caractère salace, l'adolescente écouta attentivement la suite. Le Japon ? Nope, jamais allée. Et elle ne connaissait pas grand chose de cette culture au delà de quelques vidéos aperçues sur le net pendant les vacances. Autant dire qu'elle savait juste qu'ils étaient particulièrement étranges. Elle observa donc les deux bols noirs finement ciselés, et suivit ensuite chacun des mouvements de la femme. La cérémonie du thé ? Non, pas vraiment. Elle ne venait pas d'un milieu au niveau culturel particulièrement élevé, et être amené à Poudlard à ses onze ans n'avait pas aidé, même avec l'étude des moldus devenue obligatoire. En cours ils parlaient plus souvent de technologie, de comment les moldus s'habillent en Grande-Bretagne, éventuellement aux Etats-Unis, mais le Japon... Au final, leur apprentissage restait assez ethnocentré, malheureusement. Elle écouta donc les explications, hochant doucement la tête au fur et à mesure qu'elle voulait indiquer comprendre une affirmation, curieuse de voir de quoi il retournait rapidement, au point qu'elle ne releva même pas la seconde fois qu'elle parla d'initiation.
C'est pourquoi elle observa avec une certaine fascination faire Eleni. Chacun de ses gestes étaient précis et apportaient quelque chose de nouveau au breuvage qu'elle préparait. Tout dans ses gestes modifiait dans les plus petites nuances la boisson aux arômes subtiles et au goût différent à chaque préparation. Il était rare de voir Lexie aussi captivée par quelque chose, mais en cet instant, chaque bulle qui se formait à la surface du thé semblait contenir en elle d'infinis délices que l'adolescente aurait voulu goûter. Finalement, la préparation fut terminée, et Eleni confia le beau bol à l'adolescente. Elle tendit les mains, attrapa le bol, celui-ci venant se poser parfaitement contre la pulpe de ses doigts. Ca lui permit de ramener celui-ci vers son visage, respirant la fumée qui s'en échappait dans des volutes mystérieux, comme si eux aussi venaient d'une contrée lointaine où Lexie n'était jamais allée. La céramique était chaude, évidemment, mais pas trop brûlante pour empêcher l'adolescente de la garder en main. Tout du moins jusqu'à ce qu'Eleni se lève et se dirige vers la bibliothèque. Oh non. Non non non ! Ca ne devait pas arriver aussi vite ! Que faire, que faire ! Elle sentit ses mains commencer à la brûler.
Oh. Non, elle ne pouvait pas... Tant pis. Elle laissa le bol lui échapper des mains et lâcha un petit cri aiguë lorsqu'elle sentit le liquide chaud se déverser sur elle. Oh bordel ! Ca brûle ! Elle se leva d'un bond. La céramique se brisa. « Putain sa mère la pute c'est chaud ! » Elle se tourna alors vers Eleni, regarda le bol au sol. « Oh f- Je suis désolée ! Je voulais pas... Vous savez quoi ? » Elle attrapa son sac d'un geste précipité et le passa sur son épaule. « Je vais vous laisser avant de provoquer d'autres catastrophes. C'est vrai quoi, en plus je m'impose comme ça... et... et... » Elle commença à reculer vers la porte, se prenant le coin de la table basse au passage. Elle ne retint pas un petit grognement de douleur et décida de faire front à la porte, tournant ainsi le dos à Eleni. C'était le moment de fuir.
Le bruit de la céramique brisée résonna derrière elle, et Eleni se retourna d'un geste sec, les yeux arrondis de surprise, son inquiétude se lisant sur son visage. Le cri de Lexie la sortie de sa torpeur, et elle se précipita vers la jeune fille, qui se confondait en excuse, et venait de se heurter la table basse en un même mouvement, attrapant avec douceur mais tout de même une certaine fermeté son bras pour l'écarter doucement, afin de l'empêcher de se blesser en marchant sur la céramique brisée.
"Tu n'as rien ?"
La légère pression de ses doigts sur le bras de la jeune fille lui servit à la retourner doucement vers elle, pour l'observer avec plus d'attention, se focalisant sur l'uniforme tâché de la jeune fille.
"Je suis vraiment désolée, le bol était trop chaud…"
La jupe de la Gryffondor semblait avoir pris une bonne partie des dégâts, une tache sombre s'étendant sur l'avant du vêtement. Le chemisier de la jeune fille n'avait pas été épargné non plus, le thé ayant laissé une trace humide et verte. La partie apparente de ses cuisses était rougie par la boisson chaude, et Eleni grimaça, approchant sa main pour constater des dégâts, avant de se souvenir soudainement que c'était tout sauf approprié.
Elle lâcha le bras de la jeune fille, reculant d'un pas, et leva les yeux vers le visage de Lexie.
"Je suis vraiment désolée… J'aurais dû être plus attentive. Ces bols peuvent être lourds, et la chaleur n'aide pas…"
Elle écarta du bout de sa chaussure un morceau de céramique, pour éviter que l'une, ou l'autre, ne se blesse en marchant dessus.
"Je peux te prêter un sweat-shirt, ou un gilet le temps que tu puisses changer d'uniforme si tu veux ? Ou…"
Eleni fronça les sourcils.
"Est-ce que tout va bien ?"
Elle avait l'impression qu'il y avait… quelque chose, dans le regard de Lexie. Elle n'arrivait juste pas à savoir ce que c'était. C'était presque… c'était… ça la mettait mal à l'aise. De nouveau.
"Ne t'en fais pas pour le bol, ce n'est pas grave ! Ça peut arriver à tout le monde, si tu savais le nombre de bols et d'assiettes que mes coloc' ont cassé en faisant la vaisselle à la main…"
Elle laissa échapper un petit rire nerveux, avant de jeter un nouveau coup d'oeil à la Gryffondor, qui devait avoir froid après le choc initial de l'eau trop chaude, maintenant que la tache avait dû avoir le temps de refroidir.
"Tu vas attraper la mort si tu ne vas pas te changer…" Eleni fit un pas en arrière, en direction de sa chambre. "Tu veux que j'ailles te chercher ce gilet ? Je vais aller t'en prendre un," finit-elle par dire sans même attendre la réponse de la jeune fille, et elle s'éclipsa en évitant le bol brisé d'un mouvement maladroit, allant fouiller dans son armoire à la recherche d'un gilet ou d'un chandail qu'elle pourrait prêter à la jeune fille : il serait certainement trop grand, car Lexie était bien plus fine qu'Eleni ne l'était. Elle finit par dénicher son cardigan où l'écusson bleu de l'université de Sheffield était brodé, livre ouvert sur six flèches croisées, la devise RERVM COGNOSCERE CAVSAS inscrite en dessous. Elle referma la porte de son armoire, retournant dans le salon, cardigan à la main.
Culpabilité. Contact soudain. Brûlure de la peau. Annihilation.
Durant de courtes secondes, la main qui retenait son bras n'était plus celui d'une frêle jeune femme, mais une main d'homme forte et brutale, à la poigne de fer. C'était la marque contre sa peau ; une galaxie sur son épiderme. Encore.
Mouvement brusque pour se dégager. Réalisation. Sa respiration se stoppe nette. Son geste aussi.
Elle se retourne, voit l'inquiétude sur le visage aux traits fins. Ce n'était pas lui. Ce n'était pas... Elle respira profondément en s'en rendant compte, sans que le poids qui s'était posé sur ses épaules ne la quitte complètement en cet instant. Ce poids l'avait-il réellement quitté un jour ? Les mots que prononçait Eleni lui parvenaient à peine, comme si comme la mer ils venaient se briser contre des falaises infranchissables et bien trop hautes. Lexie se focalisait sur les gestes de la femme, sur ses expressions, sur les deux grands yeux aux reflets salés de la mer. Lorsque la seconde main s'approcha des rougeurs de ses cuisses, elle eut un vif mouvement de recul. Peut-être était-ce ça, la réalisation qui prit Eleni, car elle suspendit son mouvement et retira l'ivoire de ses doigts. Peut-être était-ce autre chose. Dans tous les cas, elle la lâcha, et sa liberté retrouvée, elle resta immobile de peur qu'on vienne la lui reprendre. Statue de sable, elle attendait l'approche d'une vague qui ne viendrait sans doute jamais la renverser, pourtant, elle restait là à contempler la scène. La céramique blanche et noire, éparpillée par terre dans le peu de liquide qui restait dans son fond. Le cadre vide qui lui apparaissait clair de là où elle se tenait, caché par quelques folles mèches blondes dont le mouvement suivait ceux d'Eleni, agitée par ce qu'il venait de se passer. Ces fragments de temps lui semblaient se compresser soudainement, comme si les conséquences de ses actes lui sautaient au visage. Elle attendait l'approche d'une vague. Elle attendait la punition.
Jusqu'à ce qu'un blanc se forme. Nouvelle violence. Cette fois, lexie en était l'auteur, alors qu'elle se giflait mentalement pour reprendre le contrôle de ce qu'il se passait. Elle n'était pas en danger. Tout allait bien. L'adolescente s'anima de nouveau en relevant les yeux vers Eleni.
« Oui, pardon, tout va bien, ne t'en fais pas. » Automate fragile qui ne se rend pas compte de son erreur, elle semble répéter une phrase dite des centaines de fois sans cœur. C'était ça le contrôle. L'absence de cœur. Elle ne sentait pas le froid mordre sa peau brûlée, mais vit bien Eleni quitter la pièce dans un instant de gracieuse délivrance. Là elle devrait pouvoir retrouver ses esprits, rattraper son cœur qui se dérobait à elle. Là elle pourrait décider de quoi faire.
Maîtresse de son destin à nouveau, la décision s'opéra rapidement dans son esprit parmi les trois choix qui s'offraient à elle.
Elle choisit le quatrième. Lexie n'aurait pas su dire pourquoi en cet instant elle s'assit par terre et fouilla dans son sac pour en sortir la photo et la déposer devant elle. Pourtant elle le fit, puis elle ramena ses jambes contre elle, parce que soudainement, tout lui semblait glacial autour d'elle. C'était à peine si l'air était respirable. Et elle ne savait pas.
Aussi, lorsque finalement elle l'entendit revenir, elle resta dos à elle, simplement. « Je suis désolée. » Faible, à peine audible. Elle ne parlait plus du bol.
L'esprit d'Eleni revenait sans cesse à ce mouvement brusque, et la manière dont l'adolescente avait reculé vivement, comme… comme si elle avait peur ? Les doigts d'Eleni effleuraient tissus et tissus, soulevant, déplaçant, cherchant. De quoi avait-elle eu peur ? D'Eleni ? Avait-elle eut peur qu'Eleni lui fasse du mal ? La touche d'une manière… absolument inappropriée ? La confusion dans l'esprit d'Eleni ne faisait que grandir et grandir. Lexie avait flirté d'une manière si agressive : était-elle habituée à agir de la sorte avec ses professeurs sans résultats en face -Eleni l'espérait du moins- et avait-elle était apeurée à l'idée qu'Eleni ait pu prendre ses avances au mot ? (ce qui n'avait pas été le cas. bien sûr que ça n'avait pas été le cas !)
Eleni secoua la tête, attrapant finalement un vêtement qui ne serait pas trop grand sur la svelte Gryffondor, revenant dans le salon aussi vite que possible pour s'assurer que la jeune fille ne s'était pas enfuie : ça n'aurait pas étonné Eleni plus que ça si ça avait été le cas. La scène qu'elle découvrit lui serra le coeur, et ses pas se firent plus hésitants ; elle ne voulait pas envahir l'espace personnel de la jeune fille si celle-ci ne le voulait pas. Elle avait beau eu lui dire que tout allait bien… N'importe quel idiot se serait rendu compte que ça avait été un mensonge. Un très bon mensonge, où elle avait semblé dire la vérité, mais un mensonge tout de même.
Mais même si son pas était hésitant, même si elle semblait réticente à se rapprocher de la jeune fille, ses instincts premiers prirent le dessus, et bientôt elle se retrouva à un mètre à peine de la jeune fille, les yeux fixés sur le dos de la Gryffondor, assise sur le sol, dos à elle.
"Lexie… Est-ce que…"
Eleni laissa échapper un souffle tremblant ; personne n'avait jamais eu peur d'elle. Personne n'avait jamais agit comme s'ils pensaient qu'elle pouvait les blesser. Ses amis avaient souvent ri du fait qu'Eleni était aussi effrayante et terrifiante qu'un bébé panda roux. Liv avait plus d'une fois déposé un baiser dans ses cheveux en lui disant que si quelqu'un lui faisait du mal, elle s'en chargerait elle-même. Alors, non, Eleni n'était pas habituée à ce genre de situation, et ça lui brisait le coeur de voir Lexie comme ça. Elle semblait juste si… fragile. Rien à voir avec l'adolescente dont elle avait fait la rencontre dans la bibliothèque. Deux êtres diamétralement opposés.
"Lexie… Est-ce que… Est-ce que je peux faire quelque chose ?"
Elle ne demanda pas si tout allait bien, il était évident que ce n'était pas le cas. Mais… Lexie avait-elle besoin qu'Eleni aille chercher quelqu'un ? Elle irait courir jusqu'à la directrice McGonagall sur le champs si Lexie le lui demandait, quand bien même elle serait certainement renvoyé dans la seconde. Elle la laisserait seule, sortant des appartements, si c'était ce dont elle avait besoin. Où elle resterait là, assise à ses côtés, jusqu'à ce que la Gryffondor se sente mieux.
Elle entendit à peine l'excuse de la jeune fille, qui lui fit froncer les sourcils. Mais elle lui avait déjà dit que ce n'était pas grave… Eleni s'accroupit doucement aux côtés de Lexie, veillant à laisser une certaine distance entre elle. Sa voix s'était faite plus douce encore, plus faible aussi, comme si elle se trouvait face à un animal blessé.
"Lexie… Est-ce que-"
Et c'est là qu'elle vit la photo sur le sol. Ses sourcils se froncèrent à nouveau, et elle tendit la main pour venir l'attraper, la soulevant de terre, ne comprenant pas ce qu'elle faisait là. Elle leva la tête pour regarder la bibliothèque, son regard balayant les cadres jusqu'à ce qu'elle en trouve un, vide. La confusion se lisait clairement sur son visage, et elle ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois, ne comprenant pas ce que la photo faisait là. Elle baissa les yeux vers Lexie et…
"C'est toi qui l'a prise ?"
Son ton n'était pas accusateur, car la surprise était bien plus grande.
"Mais… Pourquoi ?"
Les grands yeux bleus d'Eleni balayèrent cette fois le visage de Lexie, la photo toujours entre ses doigts, ne comprenant juste… plus rien à ce qu'il se passait. Pourquoi Lexie avait-elle prit cette photo ? Quand l'avait-elle prise ? Était-ce de la kleptomanie ? Pourquoi n'avait-elle pas simplement prit le cadre, dans ce cas là, pourquoi seulement la photo ? Et pourquoi cette photo ? Juste…. Pourquoi ?
Est-ce que... Est-ce que... Le moment fatidique arrivait. Elle n'avait répondu à rien avant, pas même à la demande lui offrant toute aide. En temps normal, sans doute Lexie se serait-elle saisit de cet instant pour réclamer l'un de ces moments d'intimité qu'elle chérissait temps. Ces moments intenses et si vivants, teintés de couleurs et d'arômes qui naissaient seulement au cœur de deux êtres. Mais elle laissa l'opportunité glisser sur elle comme si elle ne l'avait pas entendu. Secoua lentement la tête. Douloureusement. Est-ce que- Elles y étaient. Le bras d'Eleni se tendit devant Lexie qui le vit passer avec un sursaut. Elle ferma les yeux brièvement et serra la mâchoire devant son absence de contrôle, agacée contre elle-même. Inspira profondément. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la photo n'était plus là, et de nouvelles questions sortaient des lèvres de la femme à ses côtés, le tout avec une douceur surprenante, sans ce fond de colère auquel elle était habituée. Elle demanda pourquoi. Voulait-elle vraiment savoir ? Ou était-ce pour mieux la punir après ? Elle ne savait pas. Ce qu'elle savait en revanche, c'était qu'elle avait accordé sa confiance à Eleni par le passé, et que jusqu'à présent, elle n'avait montré aucune raison pour que cette confiance change. Son inquiétude, sa douceur, tout était là. Comme six ans en arrière. Comme lorsque, après avoir aperçu un instant des plus choquants, Eleni avait pris la peine de la retrouver pour lui expliquer. Une explication qui avait facilité bien des choses dans la vie de l'adolescente, en un sens.
Elle hocha la tête lentement. « Parce que ça semble être un souvenir heureux. » Les mots étaient prononcé doucement, comme si elle s'étranglait en les prononçant, avec peut-être dans un léger tremblement la manifestation de sa crainte. Voilà pourquoi elle n'avait pas prit le cadre avec. Parce que ce n'était pas tant l'objet en soi qui l'intéressait, c'était ce qu'il représentait. C'était le moment magique, le moment de bonheur, l'instant unique. Elle releva brièvement les yeux vers Eleni, juste le temps de saisir son expression. Puis elle vint poser son front contre ses genoux. « C'est tellement... vraiment... complètement stupide. » Elle ramena une main à l'arrière de son crâne, tira un peu sur ses cheveux, donna un coup léger mais présent. Comment dire ça autrement ? Elle ne savait pas, encore une fois. Elle n'avait jamais vraiment réfléchit à la raison pour laquelle elle avait tendance à prendre des choses chez les gens. Ce qu'ils chérissaient, même un peu, elle avait cette tendance à le désirer, et à finir par le prendre si elle en avait l'occasion. Elle avait appris comment ne pas se faire prendre, comment détourner l'attention de ce qu'elle faisait, comment saisir une opportunité, n'importe laquelle. Elle tourna alors la tête vers elle, sans la détacher pour autant de ses genoux, les yeux bleus cherchant ceux d'Eleni. « Tu sais qu'on a partagé une année ensemble ici ? » La question était rhétorique. Elle le savait certainement. On ne revenait pas à Poudlard sans y songer, surtout lorsque seulement six années s'étaient écoulées. Lexie secoua la tête brièvement. Ca n'avait pas d'importance. « Je vais t'aider à ranger et... je vais retourner dans ma salle commune. »
Un souvenir heureux. Ça remua quelque chose à l'intérieur, lui retournant l'estomac, lui soulevant le coeur, lui tordant les tripes. C'était comme une douche froide, ou peut-être trop chaude. Un souvenir heureux. Comme si ce n'était pas l'exacte raison pour laquelle Eleni les affichait, ces photos. Pas pour se souvenir, mais pour voir, tous les jours, que c'était ça le but final. Le sourire sur ces photos.
"Mais c'est le mien…"
Elle se sentit très égoïste, comme une enfant à qui on venait de prendre le jouet favori pour le prêter à quelqu'un d'autre. Elle sentit sa gorge se serrer, et battit des cils pour faire disparaître l'eau de ses yeux. Elle laissa tomber la photo contre son genou, relâchant la pression de ses doigts. La photo tomba à terre avec un bruit léger, et lorsque Lexie releva la tête, Elenie ne pu se retenir. Son geste était hésitant, presque autant que ses pas un peu plus tôt, par peur de la réaction de la jeune fille. Celle-ci ne sembla pas ciller, alors les doigts de la jeune femme s'approchèrent encore et encore, jusqu'à venir glisser l'une des mèches brunes encadrant le visage de la Gryffondor derrière l'oreille de celle-ci. Elle lui sourit avec beaucoup de douceur, les yeux légèrement brillants, sa main retombant en effleurant délicatement la joue de la jeune fille. Comme si elle cherchait à dire, à lui faire comprendre, à lui faire entendre C'est le mien. Il ne peut rien t'apporter. Une illusion, tout au plus. Il n'est pas vrai, pas pour toi. Des souvenirs propres. Il te faut tes souvenirs propres. Sinon, ça ne comptait pas.
"Non, ce n'est pas stupide."
Son ton était presque rieur, un rire chevrotant, un rire humide. Elle comprenait, au fond. Enfin. Elle comprenait à sa manière. Ça avait du sens. Il y avait une… logique. Probablement une explication, même. Ça, au moins, ça avait du sens. Vouloir s'approprier le bonheur de quelqu'un, pour quelque raison que ce soit, par jalousie, par envie, par peur, c'était humain, c'était compréhensible. Vouloir ce que l'on n'avait pas. Vouloir ce qui était beau. Jalouser ce qui était beau, ce que les autres avaient. Tout ça, peut importe quoi, c'était humain. C'était logique, ça s'expliquait. Il y avait un élément déclencher. Ça, au moins. C'était justifiable.
Eleni baissa les yeux vers le visage de Lexie, légèrement surprise de la remarque. Lexie était en septième année, donc. Donc oui. C'était logique. Eleni avait quitté Poudlard depuis cinq ans. Lexie avait été en première année alors, à ce moment là. L'avait-elle connue ? La remarque de Lexie avait-elle été le fruit d'un calcul effectué lorsque la jeune femme lui avait donné son âge, ou bien Lexie l'avait-elle reconnue ? Connue ? Eleni se redressa sans quitter Lexie des yeux, fouillant dans sa mémoire à la recherche d'un souvenir qui l'aiguillerait. Elle avait été si prise de court en septième année, emportée dans le tourbillon d'une vie qui semblait tout juste débarquée, soulevée de terre par le tourbillon Liv.
Elle prit le temps de sourire, et de hocher la tête.
"Ce n'est pas nécessaire mais… c'est grandement apprécié."
Même si elle avait l'impression que Lexie en avait besoin, peut-être pour se donner une minute supplémentaire afin de reprendre ses esprits, une tache simple pour lui permettre de reprendre le contrôle, elle ne pouvait s'empêcher de lui signaler que ce n'était pas une nécessité, qu'elle pouvait très bien s'en occuper seule.
Elle se baissa pour venir récupérer les morceaux du bol brisé. Le reste du liquide s'était répandu sur le tapis qui couvrait le parquet sous la table basse. La tâche sombre s'était déjà éclaircie, laissant une trace verdâtre sur le tapis blanc. Eleni n'y prêta guère attention, fouillant agressivement dans sa mémoire à la recherche d'un indice. Une Gryffondor. Une Gryffondor nommée Lexie.
Ça ne donnait rien.
Rapidement, les morceaux furent ramassés, déposés sur la table basse pour être jetés par la suite (ou ôtés par les elfes de maison). Le cardigan était abandonné sur le dossier du fauteuil, et le sac de Lexie encore ouvert sur le sol, la photo non loin. Eleni se baissa une dernière fois pour la ramasser, la déposant sur la table basse.
Eleni se racla la gorge, ne sachant pas trop comment… revenir à la normal. Tout cela avait été particulièrement haut en couleur, très déstabilisant. Elle en avait encore le coeur qui battait la chamade.
"Hum."
Pour quelqu'un qui avait été connue pour être la bavarde de son groupe, Eleni semblait à court de mots. Awkward.
"Allez, filez. Allez vite vous changer, avant d'attraper la mort !"
Eleni posa la main sur la poignée, entrouvrant la porte.
"Purrfect sera très certainement déçu de n'avoir pas pu dire au revoir !"
Le chat était toujours endormi sur le lit lorsqu'Eleni était allée chercher le vêtement.
"Soyez plus discrète la prochaine fois avec votre… amie."
Elle laissa échapper un sourire en coin. Elle espérait juste ne pas avoir à bannir la jeune fille de la bibliothèque pour toute l'année, si elle continuait à s'y comporter de la sorte. Elle ne voulait pas se lever un matin pour trouver tous les livres sur les mauvaises étagères, après tout.
Evidemment que c'était le sien. A qui d'autre aurait-il pu appartenir ? Ce n'était pas comme si Lexie en avait, elle. Ou plutôt, c'était qu'elle ne parvenait pas à se rendre compte de ce qu'elle avait déjà maintenant que le vent tournait en sa défaveur. Car des souvenirs heureux, bien sûr, elle en possédait. Mais ce n'était pas assez pour rééquilibrer la balance et compenser ce qu'elle avait pu vivre, pour faire taire ce qui remontait du plus profond d'elle-même et la rongeait. Pour remplir ce sentiment de vide qui souvent l'accompagnait dans toute sa vie, dans ses gestes et ses rires, pantin d'un destin peu clément à son égard qui semblait vouloir encore se jouer d'elle. Et que pouvait-elle faire pour lutter contre ça ? Rien. Elle ne pouvait qu'attendre. Une attente qui allait la rendre folle. Alors elle devait faire quelque chose dans son inaction. Et c'était tout ce qui lui venait. Même si c'était mal. Parce que durant une seconde, et chaque fois qu'elle revoyait l'objet dérobé, le souvenir volé, elle se sentait en contrôle sur quelque chose, sur ses actes, sur sa vie, et elle en avait besoin. Au geste d'Eleni, elle ne recula pas. Elle ne se sentait pas menacée par elle. Elle avait toujours été douce et gentille, et Lexie se sentait revenir à sa première année à Poudlard, où un nouveau monde s'offrait à elle dans lequel elle se sentait protégée, loin de tout ce qui avait pu lui arriver de mal. Les paroles rassurantes firent fondre l'adolescente quelque part. Ses yeux commencèrent à la brûler et elle dû faire tous les efforts du monde pour ne pas céder à la boule qui se formait dans sa gorge nouée. Vraiment, quelle idée de ressentir.
Eleni accepta finalement qu'elle l'aide à ranger et à peine les mots furent-ils prononcés que l'adolescente se leva – difficilement – pour se mettre au travail. Elle rassembla les plus gros morceaux de céramique, puis les plus petits dans un travail qui s'effectua rapidement à deux. Malheureusement, le tapis avait déjà épongé tout le liquide ayant pu être tombé au sol. Lorsque plus aucun morceaux ne traînaient il y eut un instant de flottement entre les deux femmes. Eleni se racla la gorge, puis elle donna le signal du départ. Pour que Lexie ne tombe pas malade, disait-elle. La concernée ne dit rien mais durant une fraction de secondes elle n'en pensa pas moins. Ce qui ne l'empêcha pas de prendre la direction de la porte. Elle fit un bref sourire à la bibliothécaire en entendant son avertissement. « Je fer- » Elle s'interrompit, fronça les sourcil au son de sa voix chevrotante et s'éclaircit la gorge. « Je ferais attention, promis. » Elle s'avança pour franchir la porte, s'interrompit alors quelques secondes en passant devant Eleni et se baissa pour venir déposer un baiser sur sa joue. « Merci. » Un sourire franc se dessina sur ses lèvres avant que l'éclat de malice ne revienne envahir son expression. Comme si rien ne s'était passé. Comme si cet échange n'était plus qu'un souvenir qu'elle laissait derrière dans l'appartement qu'elle quittait désormais. Lointain. Etouffée. Pardon. Etouffé.
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