Faim.

C’était le seul mot qui arrivait à traverser mon flot de pensées encore embrumées pour clignoter incessamment, à l’image d’une alarme en face de mes paupières à moitié closes.

Faim, faim, faim.

La réponse fusa, en provenance directe de mon estomac qui hurlait à la mort. Je pensais la faim, je sentais la faim, je respirais la faim. Mes pas, guidés par ce cri aussi impressionnant que celui d’une Mandragore, m’emmenaient tout droit en direction de la Grande Salle que j’avais repérée la veille du coin de l’œil.

A présent que j’y repensais, je n’avais repéré rien d’autre. A croire que c’était mon ventre qui commandait depuis mon arrivée à Poudlard.

Pour faire simple, j’avais débarqué dans cet immense château une douzaine d’heures auparavant. La fatigue s’étant abattue sur moi de façon inattendue, j’avais profité de la fin de ma « cérémonie de répartition personnelle » pour me laisser aussitôt entraîner vers mon dortoir sans broncher, ignorant la faim qui me rongeait déjà les entrailles. Les jambes lourdes, je n’avais pas réellement fait attention au décor qui s’offrait à moi, me contentant de suivre bêtement je ne sais plus qui me montrant le chemin pour enfin me laisser glisser dans mon nouveau lit. J’attendais patiemment le lendemain pour déterminer de mes propres yeux si Poudlard correspondait réellement à l’image que je m’en étais faite à travers les nombreux récits d’Eddy.

Ah, Eddy. J’avais presque réussi à oublier ce détail. Mon parrain adoré complètement abruti et immature était Assistant du prof’ de Défense Contre les Forces du Mal. Mais quelle blague… !

Toujours est-il que je finis, tant bien que mal, par arriver à destination. Terrassée par mon estomac creux, je remarquai à peine le plafond magique décrit tant de fois par mon andouille de parrain. J’appliquai inconsciemment les directives d’Eddy et me dirigeai instinctivement, voire machinalement vers la table des Serpentards. Sans réellement faire attention à ce qu’il se tramait autour de moi, je pris place et attrapai une tartine que je fourrai dans ma bouche sans plus attendre, me retenant de pousser un soupir de plaisir.

Je ne m’attendais décidément pas à ce qui arriva ensuite. Des centaines de hiboux s’engouffrèrent dans la salle, voletant par-dessus les tables, déposant lettres et colis en tout genre aux intéressés, m’interrompant dans mon petit déjeuner sacré ! Mais quel toupet. Le plus inattendu, cela dit, était que l’un de ces fichus oiseaux fonça vers mon assiette – mon assiette ! – pour y déposer une lettre. Qu’est-ce que ?

…J’allais tuer Eddy. C’était forcément lui qui était derrière tout ça. Après tout, comment diable le prof’ de DCFM aurait eu l’idée de m’envoyer un hibou pour me préparer des fiches afin de rattraper « tout éventuel retard » ? Soupirant, je me servis une tasse de café en relisant le bout de parchemin. Je n’avais décidément pas rêvé. Génial, à peine arrivée que je me voyais déjà convoquée dans un bureau.

Sirotant ma boisson fétiche, mes yeux peinant toujours à s’ouvrir, je pris la décision de prendre ma journée pour explorer un peu le château. Je vous vois déjà me réprimander du regard – j’étais venue, c’était un pas en avant, non ? Chaque chose en son temps, par Merlin. Il me fallait prendre mes repères et m’habituer à ma nouvelle vie avant de penser à redevenir assidue.

Une fois repue, je me levai de mon banc, réfléchissant à comment j’allais me démerder pour aller me griller une cigarette sans que l’on vienne m’enquiquiner. Ca, c’était l’étape numéro une de mon plan. Ensuite, il me fallait parcourir le château à la recherche du bureau du professeur… Hoggart, me rappelai-je en jetant un coup d’œil sur sa lettre. Histoire de savoir ce qu’il me voulait, tout de même, parce que la curiosité avait pris le dessus sur l’indignation.

Après, peut-être que je pourrais essayer l’un des passages secrets que m’avait confiés Eddy il y a bien longtemps. Histoire de, vous savez, profiter du froid et du calme. Me prélasser tranquillement pour oublier mes petits soucis.

C’est sur cette pensée que je me dirigeai vers la porte de la Grande Salle, les yeux rivés sur la lettre du prof. Je tentai d’esquiver les gens tant bien que mal, mais je pense que c’était plutôt eux qui tentaient de m’esquiver, étant donné que je m’étais déjà perdue dans mes pensées, avançant sans réellement regarder où j’allais.

Ouais, l’histoire du passage secret était décidément une bonne idée. Au final, Eddy n’était pas complètement inutile.

Je m’arrêtai en plein milieu de mon périple, une pensée me frappant de plein fouet.

L’idiote que je pouvais être, parfois ! Dans ma brume matinale, j’avais omis de prendre mon paquet de cigarettes en sortant du dortoir, et je me retrouvais à présent obligée de refaire un tour par les cachots. Soupirant, je balayai la salle du regard, et le brouhaha sembla enfin arriver à mes oreilles, me faisant grimacer. Ce que les gens pouvaient être bruyants !

Ignorant les nombreuses discussions qui m’agressaient les oreilles, je reportai mon attention sur le bout de parchemin toujours entre mes mains, et fronçai les sourcils, à présent un peu mieux réveillée. Les rumeurs circulaient vite, on dirait. La seule explication logique à une pareille lettre était que Hoggart avait dû prendre connaissance de mon niveau en DCFM ainsi que de mes nombreuses absences de l’an dernier. Il devait également savoir que j’avais passé un semestre à me prélasser au lieu de retourner à Beauxbâtons, et le contraste entre ma note de BUSE et celle de mon examen de fin de sixième année devait lui avoir mis la puce à l’oreille. Oui, c’était sans doute ça. Il devait vouloir savoir ce que je valais réellement, et comprendre pourquoi j’avais chuté sans aucune raison apparente.

Mes jambes se remirent à bouger lentement, sans que je ne m’en rende réellement compte. Il était hors de question que je fasse l’étalage de ma vie à ce prof, aussi doué soit-il. Mais soit, il voulait tester mon niveau, il allait être servi. Bien que cela faisait à présent un an que je ne m’étais pas entraînée, je comptais sur mes réflexes pour lui en mettre plein la vue. Après ça, il devrait me foutre la paix. Mais d’abord, il me fallait une cigarette, et un autre café.

C’est ainsi que, perdue dans mes fantasmes, je ne le vis pas arriver. Le colosse fonçait droit vers moi, mais je n’en avais aucune idée, jusqu’au moment où il me percuta sans préambule. Mon crâne heurta un torse musclé et je fis deux pas en arrière, fronçant les sourcils. Aussitôt, une sorte d’exclamation bizarre parvint à mes oreilles, et je levai la tête, constatant que le torse en question était trempé de café. J’étouffai un rire, me contentant d’un sourire mesquin, avant que le monstre ne sorte de ses gonds.

Il vociféra, me rejetant la faute dessus sans le moindre scrupule, m’agressant de plus belle. Je levai les yeux, un sourcil haussé, indignée par ce toupet, et croisai un regard agacé. Oh, le pauvre petit chou était embêté.

Un teint pâle, des yeux bleu-océan, des cheveux blonds tirant vers le blanc, et des traits fins déformés par l’irritation. Mes lèvres finirent de s’étirer en un sourire ravi, et je le toisai de mon éternel regard hautain.

« C’est tout ce que tu as trouvé ? », lançai-je, piquante.

Je m’approchai à nouveau de ce corps tendu par l’exaspération et me hissai sur la pointe des pieds afin que ma bouche atteigne son oreille. D’un ton presque lascif, parfait cocktail entre la sensualité et la mesquinerie, je me laissai à murmurer, pour qu’il soit le seul à entendre mes mots :

« Laisse-moi comprendre. Les gens ont dû finir par se lasser de ta différence, et te retrouvant malgré toi dans l’ombre, ne pouvant plus compter sur ton physique pour t’attirer les regards, tu cherches n’importe quel prétexte pour te faire remarquer, c’est ça ? Franchement, me rentrer dedans et me faire une scène, c’est petit. Tu n’as rien trouvé de mieux ? »

Je me reculai lentement, lui laissant le temps de bien saisir la totalité de mes paroles. Lui adressant un dernier regard brillant, un sourire amusé au coin des lèvres, je le contournai tranquillement. Les gens de Poudlard avaient l’air bien plus intéressant que ceux de Beauxbâtons, pensai-je ; et c’est avec un rictus suffisant que j’entrepris de poursuivre mon chemin, ma bonne humeur de retour.